STATUES CAPTIVES L’art lobi montré aux Bruxellois

 

La figure de la modernité occidentale s’est voulue universelle. Forgée avec les armes d’un empire planétaire, elle a pu en donner l’illusion. Ce temps s’achève. J’en ai traité récemment dans deux textes consacrés aux politiques culturelles publiés ici. Et voici que je tombe sur une perle : l’interview de François et Marie Christiaens, collectionneurs belges à qui l’on doit une récente exposition de statues lobis (Afrique de l’Ouest)[1]. Leurs propos recueillis pour Radio France Internationale par Siegfried Forster[2] manifestent avec une fraicheur paradoxale combien les paradigmes de cette histoire ont rancis et l’urgence de leur dépassement. Je la reproduis ici avec mes commentaires.

statue1_0

Une des statues présentée dans le cadre de l’exposition « Les bois qui murmurent », photo de Siegfried Forster

 RFI : C’est la première grande exposition sur la statuaire lobi, pourquoi avait-elle été ignorée pendant si longtemps ?

 François Christiaens (FC) : Les Lobi n’ont jamais été considérés. Ils se sont d’ailleurs toujours cachés du monde. Ils n’ont jamais voulu être connus. On les a découverts un peu par hasard, parce que personne ne s’y intéressait. A ce moment-là, cela nous a donné le virus d’aller voir et de gratter un peu ce qui se passe chez eux.

JLSD : « On », c’est qui ? « Personne » c’est qui ? Quelle est la sorte d’« intérêt » qui ne fonctionnait pas avec les Lobis ? Les Lobis s’habillent, ils n’intéressent pas les marchands d’étoffes ? Les Lobis vont à l’école, ils n’intéressent pas leurs enseignants ? Les Lobis à motocyclette n’intéressent pas les policiers ? Il faut être contaminé par un virus pour pouvoir s’intéresser aux Lobis ?

 Marie Christiaens (MC) : Pendant la colonisation, les Lobi avaient fait le « serment de la bouche », c’est-à-dire de ne pas s’associer aux Blancs, aux missionnaires, aux chrétiens, etc. Ils étaient très rebelles. D’une certaine manière, cela les a protégés. Leur art a été découvert très tard.

JLSD : Merci ! Maintenant, on a compris de quelle race de découvreurs il s’agit. Lire la suite

A MES AMIS DE BANGUI

En Centrafrique, les défis historiques devant lesquels se trouve placée l’Afrique post coloniale sont comme portés à incandescence. Par où saisir l’explosion qui secoue à nouveau ce pays ? Je m’y suis rendu deux fois dans les six derniers mois pour y faire du théâtre. Je ne sais pas si ce que j’en raconte ici peut être utile. Mais cette expérience fut tellement intense que je m’y risque. 

2146864lpw-2146899-article-photospourbase-jpg_3077185_660x281

Depuis mai dernier, les nouvelles de Bangui ne sont plus pour moi un chapitre désincarné dans la rubrique des violences absurdes qu’égraine la presse d’actualités, mais des visages, des amis, des projets, des menaces, des miracles aussi… Avec la fière équipe bamakoise de BlonBa, nous étions partis là-bas, à l’invitation de l’Alliance française, pour y faire du théâtre. Nous avons joué successivement à Km 5, quartier réputé musulman, zone de fracture, puis à Fatima, dans la cour d’une école catholique qui servait aussi de camp pour les déplacés, puis à Kolongo plage, ruine bucolique en surplomb de l’Oubangui qu’entoure une zone industrielle dévastée, puis devant l’église Saint-Paul et le squelette d’une basilique inachevée.

Km 5. Nous jouons à 15h. Déconseillé la nuit. Deux heures avant la représentation, un meurtre a eu lieu à quelques centaines de mètres. Lire la suite

#Burkina : EMPECHER LE RETOUR A L’ETAT-MANGEOIRE

Faire comme si les tripatouilleurs défaits de la Constitution burkinabè étaient des agneaux nouveaux-nés et qu’ils pouvaient dignement se présenter au suffrage de leurs concitoyens au nom d’une « démocratie » confondue avec le scrutin majoritaire, c’eût été dire au peuple : les mots n’ont pas d’importance, le petit jeu reprend comme avant, jouez votre partie en votant, nous jouerons la nôtre en volant. Les événements en cours au Burkina Faso ouvrent une fenêtre exceptionnelle pour dépasser l’Etat-mangeoire, presque généralisé en Afrique et si néfaste à la liberté politique et au développement.

Vers-un-nouveau-coup-d-Etat-au-Burkina-Faso

La séquence historique à laquelle est confronté le peuple du Burkina-Faso est historiquement cruciale. Pour le Burkina. Pour l’Afrique. Pour l’avènement d’un monde équilibré. Elle prend sa source dans le réveil initié en 1983 par Thomas Sankara. Soutenu par le mouvement populaire, le jeune officier propose à son pays de se construire par lui-même une histoire – un cadre institutionnel, mais aussi politique et moral – qui ne soit plus le copier-coller des anciennes perspectives impériales (l’imitation de l’Occident comme figure du progrès), ni des administrations coloniales, « corps étranger » propice à la privatisation des prérogatives publiques par ceux qui en ont la charge, propice également au maintien de l’influence des puissances occidentale. Le pays prend fièrement le nom de ce projet : Patrie des hommes intègres.

L’affaire est lourde de conséquences. Elle met en mouvement la grande question de notre siècle (avec la crise écologique), qui est le dépassement de la domination occidentale. Lire la suite

BURKINA FASO : DE QUELLE « DEMOCRATIE » PARLE LE CND

« La Constitution française de 1946 institue par son article 44 que « les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la Présidence de la République ». En excluant du suffrage les complices avérés du tripatouillage constitutionnel tenté par Blaise Compaoré, la transition burkinabè donne à la notion de démocratie un contenu concret ancré dans l’histoire concrète du mouvement populaire. Une bonne nouvelle !

les-burkinabes-mobilises-contre-un-coup-d-etat-constitutionnel-210402

Après sa révolution d’octobre, le Burkina Faso a engagé de façon exemplaire une transition qui visait à sortir à la monopolisation du pouvoir par un clan et à remettre la nation sur le chemin de la liberté politique. La junte qui vient de renverser les autorités de cette transition et qui représente sans fard les intérêts du clan déchu n’hésite pourtant pas à s’autobaptiser Conseil national de la « démocratie ». Et il argumente en dénonçant une disposition électorale prétendument non démocratique parce qu’elle écarte du scrutin les personnes ayant explicitement soutenu la tentative de modification constitutionnelle permettant à Blaise Compaoré de se représenter ad vitam aeternam.

Cet argument, le trouble qu’il crée, les enjeux qu’il camoufle méritent qu’on s’y arrête, car l’histoire récente du Burkina Faso nous éclaire une fois de plus sur la grande plaie institutionnelle de l’Afrique. Lire la suite

L’ENJEU BURKINABE : dislocation mafieuse ou réinvention de l’intérêt général

Dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015, le régiment se sécurité présidentielle du Burkina Faso entreprend un coup de force dont l’objectif est d’interrompre la transition politique née de la révolution de fin 2014. En effet, cette transition menace les positions acquises par ces militaires sous l’autorité sans partage de Blaise Compaoré, l’ancien président chassé du pouvoir par la force populaire. Cette équipée éclaire d’un jour violent la bifurcation historique devant laquelle sont placées la plupart des sociétés africaines : la dislocation mafieuse ou l’audace d’inventer des institutions crédibles et adaptées pour porter enfin l’intérêt général.

4760637_6_8a23_un-representant-des-militaires-putschistes_a0c504fd90cce300a68884affa276ce3Le lieutenant-colonel Mamadou Bamba annonce la destitution des autorités de la transition

Par sa pureté, son efficacité et surtout l’enjeu spécifique sur lequel elle intervient, la révolution burkinabè d’octobre 2014 constitue une étape cruciale dans la construction d’institutions représentant vraiment l’intérêt général dont l’Afrique manque tant. Comme c’est aujourd’hui la grande mode, un président – Blaise Compaoré – joue avec la règle officiellement présentée comme obligeant tous les citoyens de la base au sommet : la Constitution. Son dessein : rester en dépit de cette règle propriétaire du pouvoir et de ses prébendes. Lire la suite