LA CHARTE DU MANDEN – Serment des donsow

Texte traduit d’une tradition recueillie auprès d’un membre des confréries de chasseurs-donso par Youssouf Tata Cissé

La fondation du Mali classique (Manden) au XIIIe siècle est marquée par le congrès réuni par Soundiata Keïta, son souverain, pour établir les règles de vie applicables dans ce vaste ensemble politique. Le texte ici proposé, rédigé sous la forme d’un serment, en est en quelque sorte un résumé transmis par les confréries donso auxquelles appartenaient Soundiata et beaucoup de ses lieutenants

Une image de Diabali Konaté pour une exposition consacrée à Soundiata Keïta (Bordeaux sept.-oct. 2015)

Une image de Diabali Konaté pour une exposition consacrée à Soundiata Keïta (Bordeaux sept.-oct. 2015)

Le Manden (1) a été fondé sur la concorde et l’amour,
Sur la liberté et la dignité,
Sur l’entente fraternelle :
Il n’y a plus de préférence de race au Manden.
Sous notre lutte, il y avait ces buts là.
Aussi, les fils de Sanènè et Kontron (2) donnent à l’adresse des douze parties du monde et au nom du Manden tout entier cette proclamation.

1 – Nous disons :
Toute vie est une vie

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PUBLICITE, GAITE, OBESITE

Texte écrit en 2004 pour le quotidien L’Humanité

« Au temps de la vache folle, les grandes chaînes de restauration carnée disposaient d’un budget publicitaire pour nous mettre en appétit devant des rumsteacks aux farines de cadavres. Pas les éleveurs du Sahel qui produisent pourtant une des meilleures viandes du monde. Dans le monde où nous vivons, ici et là n’ont pas le même statut sous le rapport du budget publicitaire. »

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Grosse actualité sur le front de la publicité. La loi française jugeait jusqu’à présent que la bonne façon d’informer les téléspectateurs sur les films ou sur les livres était l’information plutôt que la publicité. La Commission européenne vient d’y lire une insupportable atteinte à la liberté de bonimenter et la France est sommée de se plier à cet avis. On a vu, cet été, le groupe UMP du Sénat batailler ferme pour qu’on ne touche pas au droit inaliénable du capital investi dans les industries agroalimentaires à bourrer le crâne de nos enfants menacés d’obésité. Et puis il y a cette ahurissante confession de Patrick Le Lay, PDG de TF1, qu’il est bon de reprendre et reprendre encore : « Nos émissions ont pour vocation de rendre (le cerveau humain) disponible, c’est à dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Mais curieusement, c’est sous la plume de Robert Redeker, philosophe souvent publié par L’Humanité, que j’ai lu ce printemps, sous le titre « L’anti-publicité, ou la haine de la gaîté » (Le Monde, 11-12 avril 2004), l’argumentaire pro-publicité le plus complet. Lire la suite

SAGESSES DU MALI

Textes traduits de récits bamanans et maninkas rapportés par Jeli Baba Sissoko, Wa Kamissoko et Youssouf Tata Cissé

Les grands récits que transmettent les griots et les chasseurs de l’aire mandingue sont émaillés de pensées immémoriales qui réfèrent les histoires et les personnages à une représentation partagée du monde et de la vie sociale. Ces textes sont dits dans une langue concrète, concise, puissante dont j’ai essayé, dans ces tentatives de traduction, de conserver la scansion et les singularités lexicales. Je les publie ici en hommage à trois grands hommes aujourd’hui disparus, Jeli Baba Sissoko, Wa Kamissoko et Youssouf Tata Cissé par qui j’en ai eu connaissance.

GriotsSambala

1 – Dans le monde humain, le temps est trois,
Le temps de dire,
Le temps de faire,
Le temps de voir.
Ainsi, quand vient le jour où ta parole est à dire,
Annonce !
Quand vient le jour où l’affaire doit être faite,
Agis !
Et quand vient le jour d’examiner tout ça,
Alors fais les comptes !
Le monde humain, ce sont ces trois temps là.

2 – Depuis que le monde fut établi par Dieu,
Trois valent mieux que trois.
Quels trois ? Lire la suite

LE SYSTEME DES ARRANGEMENTS esquisse d’analyse sur la corruption en Afrique

Ce texte a été écrit pour le Groupe Initiative Afrique à l’occasion de sa conférence titrée « Comment renforcer l’efficacité de l’Etat en Afrique ? », Yamoussoukro, RCI, novembre 2012

En bamanan, la langue la plus parlée du Mali, le terme employé en place du mot français « corruption » est yuruguyurugu. Ce vocable si expressif n’indique pas un pourrissement, mais les détours du deal en question : arrangements douteux, magouille, business

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Corruption ou arrangements ?

Le mot français corruption signifie d’abord pourrissement. Il présuppose un corps sain, un corps reconnu sain, et que gangrèneraient des germes de putréfaction. L’Etat à l’occidentale règne désormais partout. Il est devenu, par la force des armes et de l’argent, la forme obligatoire de la représentation politique, le seul dépositaire reconnu de la souveraineté. En Occident même, il est puissamment intériorisé, fétichisé souvent, spontanément vécu comme l’organe de l’intérêt général, quoique des expériences quotidiennes et répétées relativisent cette croyance. L’Occident croit spontanément dans l’Etat parce qu’il est l’enfant de son histoire politique. Quand la cupidité privée porte atteinte à sa pureté politique (ce qui est aujourd’hui fréquent), c’est la nation qui est touchée. Le corrompu ou le corrupteur démasqués se heurtent à un processus unanime de rejet. Sans circonstances atténuantes.

Les Etats d’Afrique sont tous hérités d’administrations coloniales. L’Etat colonial régnait non sur des citoyens, mais sur des « sujets » coloniaux. Dribbler l’Etat de l’occupant, le contourner, ruser avec lui, le flouer, se payer sur la bête était un jeu patriotique, une forme de résistance. Lire la suite