Politiques culturelles – EN FINIR AVEC LES SÉQUELLES IMPENSÉES DU SUPRÉMATISME BLANC

VISIO-CONFÉRENCE / ESPACES MARX AQUITAINE / 28 JUIN 2020

Construisons une mondialité culturelle

A l’invitation d’Espaces Marx Aquitaine et de son infatigable animateur Dominique Belougne, j’ai donné le 28 juin dernier une visio-conférence sur les thèses que développe mon dernier livre : L’ART EST UN FAUX DIEU / Contribution à la construction d’une mondialité culturelle. Cette réflexion est en grande partie le fruit de décennies d’action culturelle et de création artistique entre France et Mali, parcours que j’évoque en avant propos de la conférence. Elle invite, à partir d’exemples très concrets, à prendre conscience de la façon dont nos représentations, nos institutions, nos paradigmes culturels ont été structurés par les 500 ans de domination occidentale, domination dont le noeud idéologique est l’invention de la race blanche catégorie consacrée forme aboutie de l’humanité, avec pour corollaire la rétrogradation des autres au rang de sous-humains voués à servir la race supérieure, au mieux à la singer. Cette structuration raciste, que d’autres nomment « racisme systémique », est très largement impensée et du coup partagée sans en avoir conscience, y compris par des antiracistes engagés, y compris par celles et ceux que cible le racisme. En décrire et en comprendre les mécanismes donne des forces pour aller vers son dépassement. Ce travail de l’esprit converge avec les soulèvements consécutifs au lynchage policier de George Floyd, soulèvements ciblant expressément ce qu’ils nomment racisme systémique et que mon livre tente de décortiquer dans le champ stratégique de la culture.

 

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Vient de sortir L’ART EST UN FAUX DIEU 

4e de couverture

Que vaut un tableau de maître – objet symbolique destiné à ouvrir l’imaginaire de celles et ceux qui le voient – quand il est placé dans la nuit d’un coffre-fort ? Que dit la fétichisation qui permet d’en faire un bon placement ?
L’auteur y lit la métaphore d’une modernité occidentale épuisée. Il propose une franche rupture avec ces croyances en s’appuyant sur une petite foule d’expériences vécues.
Cet ouvrage est alimenté par son engagement artistique entre Europe et Afrique. Réflexion décoloniale assumée. Remise en cause sans détour de ce qu’est devenu en France l’appareil culturel d’État.
Désacraliser les paradigmes occidentaux de l’art, passage obligé si l’on veut ouvrir la voie vers une vraie conversation des cultures ?

« Ce que la figure de l’Art fétichise est un espace historique, singulier, de la conversation dans laquelle les humains inventent leur humanité. En fétichisant cet espace, c’est-à-dire en l’universalisant, en le dé-singularisant, la figure de l’Art stérilise la possibilité ouverte à l’Occident comme à tous : se dire à soi-même, converser avec les autres. Il se fait le verrou hautain d’un emprisonnement généralisé dans la forme du monde voulue par la domination occidentale. Le verrou est la fétichisation de la trace, non pas ce qui a tracé la trace. Rompre la digue pour retrouver la liberté des flots, leur inclination à la confluence, leur capacité à fertiliser les sols et à déchausser les idoles. Déverrouiller. »

Pour en savoir plus et commander le livre : https://www.jacquesflamenteditions.com/411-lart-est-un-faux-dieu/

« RACISME SYSTEMIQUE », RACISME SANS MECHANTS ?

« Racisme systémique ». L’expression est entrée dans le langage commun à l’occasion des soulèvements antiracistes provoqués par le lynchage policier de George Floyd. Elle suggère l’existence d’un racisme qui ne prendrait pas racine dans la méchanceté des personnes (elle aussi joue son rôle), mais dans l’organisation même, dans la structuration du système. Ce racisme existe. Son « isme » se rapproche de celui par lequel on désigne le système où règne le capital : capital-isme. Rac-isme : système d’organisation sociale et de représentations idéologiques fondé sur la croyance dans l’existence des races humaines, dans leur hiérarchisation. La matrice de ce rac-isme structurel est un événement massif et pluri-séculaire : la conquête et l’assujettissement de la totalité de la planète par une poignée de nations européennes ; la justification de cette conquête par l’invention d’une race blanche prétendue supérieure à tous les autres humains ; la croyance dans la vocation de cette race à unifier et à conduire l’histoire humaine. Mon dernier livre – L’art est un faux dieu / Contribution à la construction d’une mondialité culturelle – explore la façon dont cette croyance s’est construite et comment elle structure inconsciemment nos pensées, nos affects, nos institutions. Cette exploration le conduit au cœur du champ culturel et artistique, dans un lieu où les méchants racistes sont rares mais que je crois être tordu en profondeur par le racisme systémique de la domination occidentale. Voici, tiré de ce livre, un exemple de ce racisme sans méchant, de ce racisme systémique qui marche tout seul.

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Charles Victoire Emmanuel Leclerc, chef de l’armée envoyé par Bonaparte pour rétablir l’esclavage à Saint-Domingue (Haïti)

Cet exemple prend la forme d’une statue qui trône sur une place publique de la République française – Liberté, Egalité, Fraternité – et qui glorifie un criminel contre l’humanité. Contre l’humanité…noire. Effigie dressée là par le système, effigie considérée par le système avec les mêmes yeux vides que ceux qu’on voit au meurtrier de George Floyd en train d’étouffer sa victime :

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«Voici mon opinion sur ce pays (la colonie de Saint-Domingue, future Haïti). Il faut détruire tous les Nègres des montagnes, hommes et femmes, ne garder que les enfants au-dessous de douze ans, détruire moitié de ceux de la plaine et ne laisser dans la colonie un seul homme de couleur qui ait porté l’épaulette, sans cela jamais la colonie ne sera tranquille.»

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CETTE ETRANGE CRUAUTE QUI ACCOMPAGNE LE RACISME

Le lynchage du frère George Floyd, la sidérante placidité qu’expriment le visage et le corps du meurtrier durant l’interminable exécution de sa victime posent la question de cette forme spécifique de cruauté que la structuration raciste de nos sociétés, depuis l’invention de la race blanche et la conquête du monde par une poignée d’Etats européens, a rendue comme banale. « Détail de l’histoire » disait l’autre. Dans L’art est un faux dieu, essai qui vient de paraître, j’essaye de mettre en évidence le caractère structurel du suprématisme blanc issu des 500 ans de modernité impériale, son impact sur la culture et les comportements. En voici quelques paragraphes consacrées justement à la cruauté dont il s’accompagne.

Pour obtenir le livre : https://www.jacquesflamenteditions.com/411-lart-est-un-faux-dieu/

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Cruauté politique

 » (Le sentiment que le racisme structurel sur lequel s’est construite la domination occidentale ne serait qu’un « détail de l’histoire ») a sa part dans les tragédies individuelles qui par milliers endeuillent l’émigration Sud-Nord et transforment la Méditerranée en cimetière marin. Face à cette situation, admettons momentanément et par hypothèse la crispation xénophobe qui conduit à fermer les frontières et à transformer l’Europe en ghetto pour riches (ou pour moins pauvres). Il est vraisemblable que de nombreuses personnes favorables à des politiques populistes tendraient la main à un enfant naufragé qui se noie devant elles et implore leur secours, même étranger, même Noir, même si c’est, lui ayant sauvé la vie, pour le remettre à la police des frontières. Mais ce qu’on voit, sans que cela fasse vraiment scandale, c’est l’alliance de libéraux bon teint et de ministres d’extrême droite pour organiser l’impossibilité méthodique du sauvetage en mer et la chasse aux bouées. Les navires, les bonnes âmes qui continuent à croire dans l’antique devoir d’assistance aux naufragés sont arraisonnés, parfois traduits en justice. Lire la suite

L’ART EST UN FAUX DIEU – Le livre vient de paraître

Capture d’écran 2020-05-30 à 08.51.33La figure qui illustre la couverture de mon nouvel essai L’art est un faux dieu est l’oeuvre d’un jeune plasticien malien, Ibrahim Bemba Kébé. Sa figure ironique, sa gestuelle provocatrice, son évidence, ses secrets, les résidus urbains qui constituent sa chair, le rappel du patrimoine spirituel de la confrérie du Korè (1) dont le personnage est explicitement inspiré s’accordent en un geste unique sans rien perdre leur hétéroclite fantaisie. Le facétieux wokloni (2) ne ressemble pas, pas du tout, à la statuaire ancienne du Mali. Pourtant, chacun le sent « africain ». La couleur noire des débris plastiques dont il est recouvert ? Peut-être… Mais s’il était jaune, ou bleu ? Quelle place lui donner sur l’échelle graduée de l’histoire de l’art, celle que s’est imaginée la modernité occidentale ? Ce malicieux gnome du XXIe siècle prendrait-il en défaut l’universalisme comminatoire de l’ÂÂÂÂÂRT ?

Woklo, tu iras peut-être au musée, tu y as déjà fait des stages, mais je ne te sens pas trop fait pour t’y sentir à l’aise. Merci en tout cas de nous suggérer en un seul clin d’oeil tant des situations que j’ai tenté d’analyser dans ce livre.

(1) Le Korè est une confrérie initiatique active dans le centre et le sud du Mali dont la classe supérieure, les korèdugaw, se livrent à des processions burlesques d’autodérision.

(1) Petit woklo, le woklo est une sorte de gnome ou d’elfe de l’univers culturel mandingue.

L’éditeur, Jacques Flament / Alternative éditoriale a mis le premier chapitre de L’art est un faux dieu en libre lecture sur son site. Je le propose ici sous cette forme avec le plaisir de l’auteur fraîchement publié. Il suffit de cliquer sur le texte pour le faire ensuite défiler de bas en haut. Bonne lecture. Je reviendrai à la suite, en quelques phrases, sur cette « alternative éditoriale » si bien accordée au propos de cet essai.

Cliquer pour accéder à 411lireunextrait.pdf

 

Jacques Flament / Alternative éditoriale

Tout auteur connait l’impatience du moment ou « sort » le livre. C’est fait. C’est aussi une période de grande connivence avec l’éditeur, surtout quand il a fait le choix de rester à taille humaine, artisanale, comme Jacques Flament : grand catalogue, petite maison… Jacques Flament/Alternative éditoriale.

Voici deux caractéristiques de cette « alternative » :

1 – Circuit court

Le choix des circuits courts est explicitement référé à ce mouvement de l’agriculture éco-responsable qui multiplie les moyens d’établir des réseaux mettant le plus directement en contact le producteur et le consommateur. Les livres de JF/AE ne sont pas confiés aux grosses marques de distribution, mais proposés le plus directement possible, soit en l’achetant chez l’éditeur qui le livre via le service public de la Poste, soit en le demandant à son libraire qui alors se le procure par la même voie.

2 – No pilon

Les nouvelles techniques d’impression permettent les petits tirages et le circuit court leur donne de l’avenir. Quand le premier tirage s’épuise, second tirage, et ainsi de suite. Il en résulte un gros avantage écologique, la mise au rebut du « pilon », cette destruction des stocks d’invendus qui est la destinée de millions de livres chaque année.

Ces principes permettent de se passer des monstres qui ont monopolisé la distribution du livre et qui soumettent éditeurs, libraires, lecteurs à leurs conditions et à leurs choix. Ils aident à constituer une vraie communauté humaine autour du livre et de ce qu’il porte. A l’échelle de notre humanité de 7,5 milliards d’habitants qui parlent des milliers de langues, même les maisons d’éditions les plus connues ne peuvent constituer autour d’elles que de « petits » réseaux. Le retour au sens, à la rencontre des esprits, à la constitution de familles d’esprit autour d’un livre, l’établissement de synapses entre ces familles, voilà une alternative vraiment accordée à ce qu’ouvre la post-modernité et le XXIe siècle. Substituer l’universalité de la conversation à l’universalisme d’alignement. Merci Jacques Flament, de le tenter.

Bon, j’ai encore une idée derrière la tête. Si le livre vous tente, demandez à votre libraire de se le procurer ou achetez-le directement ici (no Amazon !) : https://www.jacquesflamenteditions.com/411-lart-est-un-faux-dieu/

 

 

Ce site s’associe à la SOUSCRIPTION de BiBook, l’éditeur numérique africain, entravé par la crise sanitaire dans son action en faveur de l’accès au livre et à la lecture en Afrique. Celles et ceux qui souhaitent y participer peuvent s’y joindre en cliquant sur ce texte.

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HAPSATOU SY vs ERIC ZEMMOUR

Le 16 septembre dernier, dans l’émission « Les terriens du dimanche » diffusée par la chaîne C8, une vive et stupéfiante altercation oppose le polémiste Eric Zemmour et la chroniqueuse Hapsatou Sy. Depuis, Hapsatou Sy, blessée par les insultes publiques proférées contre elle, a pris le risque de publier sur facebook les moments les plus violents du débat, moments censurés par la chaîne du fait de leur outrance. Eric Zemmour, en chevalier Blanc d’une supposée pureté identitaire de notre pays déclare notamment à la jeune femme : « Votre prénom est une insulte à la France » et l’invite même à se métamorphoser en « Corinne ». A la date où est écrit ce texte, le post d’Hapsatou Sy a été vu 5,4 millions de fois, chiffre qui représente un douzième des Français, bébés compris, et il a généré 20 000 commentaires. La politique, la vraie, celle qui touche aux fondements de notre organisation sociale, resterait donc en débat ? Allons donc un peu plus loin…

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A voir Eric Zemmour se déchaîner face à la jeune femme amusée, puis médusée, le personnage apparaît sous deux versants. D’abord, le ridicule. Les propos et les « arguments » avancés par ce provocateur professionnel sont le plus souvent grotesques et ses clowneries verbales (pardon les clowns !) provoquent même l’hilarité de la jeune femme qu’il insulte. L’autre versant fait peur. Libérés par les venimeuses absurdités proférées par Zemmour, des centaines de racistes ont sans retenue déversé leur fiel sur Hapsatou, avec des réflexes et des expressions qui sont parfois le copier-coller de ceux qui s’abattirent naguère sur les Cohen ou les Lévi, doublés du sourd mépris dont se nourrirent les invasions coloniales. Les deux versants méritent d’être traités.

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Crise malienne : QUATRE PATHOLOGIES DE LA CONFIANCE

Comment analyser et surtout résoudre la crise que traverse le Mali, crise à l’issue incertaine et risquée ? Je propose dans ce texte une interprétation née de ma longue fréquentation de ce pays où j’ai mis les pieds pour la première fois en 1972, liée aussi à l’activité que j’y mène dans le champ culturel. Et aussi aux inflexions du regard que déclenchent ma peau de « Blanc ». Cette interprétation est donc à la fois informée et déformée. Discutable. J’espère qu’elle sera utile au débat.

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Dans son film Timbuktu, Abderrahmane Sissako nous donne une une splendide métaphore des raisons dites « ethniques » de perdre confiance.

Rupture des liens par lesquels la société tenait

Longtemps, quand arrivait le temps des vacances, je me rendais chez un ami, à Zakoïré, hameau situé à proximité d’Ansongo, dans ce haut de la boucle du Niger où le sable des dunes tutoie l’eau du fleuve. Depuis l’indépendance du Mali, cette région aride est sporadiquement secouée par des révoltes souvent nées du milieu pastoral des touaregs. L’interprétation « ethnique » vient spontanément sous la plume des commentateurs. Peaux claires contre peaux sombres ?

Le père de mon ami, un éleveur songhaï sédentaire, peau sombre, n’a pas cette vision des choses. Il me dit en substance : « Depuis toujours, nous vivons ensemble, nous allons au marché ensemble, il arrive que nous nous marions ensemble. Nous avons besoin les uns des autres ». Il me dit qu’à leur façon, les uns et les autres forment la même société. Dans cette région du Mali, à l’époque en tout cas, les hommes ont coutume de sortir armés d’une sorte de sabre qu’ils portent à la taille. Il m’explique que dans le cas où un conflit se lève, ce qui peut arriver comme partout, les uns et les autres sont à armes égales, ce qui est une bonne raison de mettre le sabre au fourreau et de trouver une solution amiable. « Mais si l’un d’entre nous arrive un jour avec une arme à feu, il blessera ou tuera son adversaire sans réponse possible. » Alors la confiance s’effondre et commence la guerre.

C’est ce que montre le cinéaste Abderrahmane Sissako dans son film « Timbuktu » à travers une de ses séquences les plus fortes.

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LE CORPS NOIR

Le théâtre de l’Arlequin (Morsang-sur-Orge, 91) a été confié, grâce à un esprit d’innovation qui fait honneur à la ville de Morsang et à l’agglomération du Coeur d’Essonne, à l’antenne française de BlonBa, une compagnie bamakoise. Chaque année ce théâtre consacre sa programmation du mois de mars à l’Afrique. Le samedi 4 mars 2017, la soirée est titrée « Le corps noir ». Le public – salle pleine à craquer – va être invité à une méditation sur la façon dont l’histoire a racialisé le corps d’une partie d’entre nous, comment cette racialisation, cette hiérarchisation des corps et des êtres a jusqu’à présent laissé ses sédiments dans nos âmes, quelle que soit notre couleur, combien il est fécond et bénéfique de dépasser cette histoire. En corps du spectacle, une impressionnante évocation de Saartjie Bartmann, la « Vénus hottentote », femme d’Afrique australe déportée en Europe au début du XIXe siècle, transformée en bête de foire avant de mourir à 27 ans et que ses restes deviennent, plus tard, une des curiosités du musée de l’Homme, à Paris. Merci à Chantal Loïal pour son engagement de danseuse et de chorégraphe dans ce prenant hommage à une victime emblématique du processus de racialisation. Avant cette chorégraphie était proposée une lecture de textes qui jalonnent cette histoire. Les voici.

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Trois lecteurs et une musicienne. Léonce Henri Nlend est comédien professionnel après une formation à l’Ecole de Théâtre de l’Essonne (EDT91). Didier Lesour, lui aussi, est comédien professionnel. Merveille N’Sombi, 14 ans, est élève à Sainte-Geneviève-des-Bois et participe à l’atelier théâtre de la MJC de cette ville. Julie Lobato, percussionniste, les accompagne. Elle assure l’éveil musical dans la même MJC. Les auteurs des textes -successivement Aimé Césaire, Nelson Mandela, Frantz Fanon, Robespierre, le dictionnaire universel raisonné d’histoire naturelle, Léopold Sédar Sengor, Napoléon Bonaparte, l’abbé Grégoire – sont annoncés dans de courtes introductions lues. Les premières répliques sont tirées de mon livre « On ne naît pas Noir, on le devient » (Albin Michel et en poche dans la collection Points). J’ai associé le nom des lecteurs et celui des auteurs.

Léonce Henri Nlend/Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Beaucoup de jeunes Français sont noirs, nés sur le sol de France sans l’avoir jamais quitté. Il y a une expérience que tous ont vécue.

Merveille N’Sombi/Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Un jour, l’institutrice demande à Mamadou : D’où tu viens, mon petit ? Lire la suite

CRIMES COLONIAUX – Le discours que n’a pas prononcé Emmanuel Macron

En février 2017, Emmanuel Macron alors candidat à la présidence de la République française portait depuis l’Algérie une claire condamnation de la colonisation, la qualifiant de « crime contre l’humanité ». Sa déclaration, bienvenue sur le fond, a provoqué une polémique qui l’a conduit à répondre à ses contradicteurs de façon quelque peu confuse et mélodramatique – « Je vous ai compris et je vous aime ! » – ce que j’ai regretté car ce sujet crucial nécessite précision et pédagogie. Je me suis donc risqué à écrire un « discours que n’a pas prononcé », comme je l’avais déjà fait avec d’autres attribués à Laurent Gbagbo, puis à François Hollande et depuis à Jean-Luc Mélenchon (textes qu’on peut lire dans ce blog). Ce discours que n’a pas prononcé précise les raisons qui permettent d’associer le mot « crime » à celui de « colonisation » et l’urgence de nous engager dans d’autres histoires.

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« Chers compatriotes,

« On m’a reproché ma claire condamnation de la colonisation exprimée dans l’émotion de mon voyage en Algérie, pays voisin dont sont issus tant de nos concitoyens et avec lequel nous avons un intérêt évident à construire une amitié sans arrière pensée. Je revendique cette condamnation sans détour au nom du bon vieux principe moral qui veut qu’on ne fasse pas à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse à nous même.

« Il est arrivé à la France, au long de son histoire séculaire, d’être militairement envahie et occupée. Elle n’a pas aimé. Jeanne d’Arc guerroyant contre les Anglais et les Alsaciens de 1870 annexés par l’empire allemand, les héros de Valmy, Jean Moulin ou Missak Manouchian en témoignent pour les générations qui leur ont succédé. La colonisation, comme toute conquête militaire d’un territoire étranger, contrevient sans contestation possible au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Lire la suite

CONTRÔLES AU FACIES : LE COUP DES ETOILES

En 1979, l’exaspération républicaine contre les contrôles au faciès dans le métro parisien déclenche une réaction pleine de panache : des centaines de citoyennes et de citoyens arborent une étoile verte à cinq branches avec l’inscription : »Halte aux contrôles d’identité racistes ». Aujourd’hui, l’Etat les justifie dans une stupéfiante déclaration adressée à la Cour de cassation. On fait quoi ?

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Le numéro d’avril 1979 du mensuel du MRAP Droit et Liberté rend compte de la conférence de presse qui annonce la campagne des étoiles vertes.

Condamné par la justice pour « faute lourde » à la suite de contrôles policiers ciblés sur les Noirs et les Arabes comme on en voit chaque jour pour la honte de notre République, l’Etat décide de se pourvoir en cassation, contre l’avis exprès de sa ministre de la Justice qui est alors Mme Christiane Taubira. L’argumentaire développé contre le jugement de la cour d’appel est écrit dans le style ampoulé et confus de ceux qui préparent un coup fourré : «Les réquisitions du parquet entendaient que soient réalisés des contrôles d’identité pour rechercher et poursuivre, en particulier, les infractions à la législation sur les étrangers. La cour d’appel ne pouvait alors dire que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde établie par le contrôle […] de la seule population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère, sans rechercher si ce contrôle n’était pas justifié par l’objet de la réquisition en exécution de laquelle il était réalisé.» En clair, comme les Noirs et les Arabes n’ont pas le physique de bons Français, il est légitime de les considérer comme des immigrés présumés suspects d’infractions à la législation qui régit les étrangers. La déchéance de nationalité par anticipation ?

Retour en 1979. Lire la suite

LES TROIS ARGUMENTS DES PRO-DECHEANCE DE GAUCHE

Dans le débat sur l’extension de la déchéance de nationalité aux Français de naissance quand ils sont binationaux, les intervenants qui soutiennent la proposition présidentielle et se recommandent de la gauche développent trois arguments : le « vrai » peuple y est favorable ; la déchéance de nationalité existe déjà dans les textes ; les excès des anti-déchéance les discréditent.

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Pardon de l’écrire sans guillemet, mais le premier argument est populiste au sens le plus caractérisé du terme. Il consiste à délégitimer les adversaires de cette proposition en les présentant comme des intellectuels fumeux déconnectés du vrai peuple supposé acquis à la mesure. C’est une préoccupante démission devant la confusion sondagière qui empoisonne la vie démocratique depuis des décennies et qui devra bien un jour être mise à distance. Il n’est d’ailleurs pas du tout certain qu’un vrai débat, honnête et droit, aboutisse au résultat que les sondages photographient dans l’instant. Lors des élections régionales, les électeurs de chair et de conviction ont déjoué l’évidence des « chiffres ». Et je fais chaque jour l’expérience d’échanges d’arguments qui amènent les esprits à se comprendre et à bouger. Une chose est sûre en tout cas : ceux qui tiennent cette position sont très très déconnectés des trois millions et demi de Français de naissance qui possèdent une double nationalité et qui appartiennent souvent à la partie la plus populaire du peuple. Au point qu’on se demande comment ces analystes en contact direct avec le « vrai » peuple ont pu trouver dans le concret les filtres qui épurent la réalité au point de lui donner l’uniformité d’une statistique.
Le second argument porte sur le fait que la déchéance de nationalité est une disposition qui existe déjà dans les textes.

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LE DISCOURS QUE N’A PAS PRONONCE FRANÇOIS HOLLANDE

Dans ce texte, malheureusement fictionnel, j’imagine ce qu’aurait pu dire le président de la République à la suite des attentats du 13 novembre 2015, s’il avait annoncé l’inflexion sécuritaire de sa politique sans toutefois emboîter le pas au Front national et à la partie de la droite qui le mime sur la déchéance de nationalité. Je ne partage pas l’option répressive développée dans ce discours imaginaire. J’ai seulement tenté, pour voir, de me mettre à la place d’un président convaincu de sa nécessité, mais ferme sur la défense de principes essentiels qui fondent la capacité de la République à résister aux agressions, d’un président attentif à l’inquiétude de compatriotes fragilisés par les amalgames racistes qui pullulent.

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Chers compatriotes

Notre pays vient d’être victime d’une agression atroce, meurtrière, une agression commandée depuis l’étranger. Au delà des vies détruites, les agresseurs visaient la singularité même de la France, notre histoire républicaine, notre art de vivre. Dans une telle circonstance, un puissant réflexe pousse notre peuple à se lever comme un seul homme et à faire front. Placé par le suffrage populaire à la tête de l’Etat, j’ai voulu que cet élan partout manifesté trouve sa traduction dans la vie politique et institutionnelle de la Nation. J’ai invité toutes les forces politiques dans lesquels les Français se reconnaissent à m’informer de leurs analyses et de leurs propositions. Je l’ai fait avec le dessein de définir l’action de l’Etat de telle sorte qu’elle puisse réunir derrière elle le plus grand nombre de consciences citoyennes. Les formes de la résistance à la barbarie terroriste dépasseront les délimitations habituelles de la droite et de la gauche. Elles obligeront chacun, moi le premier, à concourir à des mesures qui embrassent des opinions habituellement éloignées, parfois hostiles. Cet effort concret et partagé d’unité nationale est la réponse adéquate aux objectifs des meurtriers pour une raison très simple : elle réunit nos forces.

A la suite de ces rencontres, j’ai donc modifié et infléchi la politique de l’Etat dans des directions où certains de ceux qui m’ont élu auront un peu de peine à retrouver dans sa pureté leur vision de la société. Lire la suite

LETTRE A UNE AMIE TENTEE PAR LE VOTE FRONT NATIONAL

Chère amie,

J’ai compris, lors de notre dîner de l’autre soir, qu’aux élections prochaines, tu étais tentée de voter Front national. J’en ai été surpris, parce qu’il nous est arrivé dans le passé d’être politiquement relativement proches. Et j’essaye de comprendre. Tu vis dans une bourgade que je connais bien dont la quasi totalité des habitants se définissent spontanément comme « Français de souche ». 

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Des Blancs quoi, avec des noms du terroir. Des gens « comme toi et moi ». Le FN y fait régulièrement 45 % des voix (dont la tienne ?) Je t’ai interrogée sur ce vote marqué par la crainte de l’immigration dans un bourg où on ne la voit pas. Tu m’as répondu ceci : « Le mois passé, je suis allée à Paris. J’ai pris le métro, la ligne 2 entre Montreuil et Barbès. J’ai regardé le visage des gens. J’ai compté. J’ai eu le sentiment de ne plus reconnaître mon pays. Ça m’a fait peur. » J’ai eu un peu de mal à te faire dire clairement ce qui, sur ces visages, provoquait le sentiment de n’être plus chez toi. Tu sais bien qu’une partie de ma famille n’a pas ce que les gens de ton coin qualifieraient de visages « bien de chez nous ». Mais je l’ai dit à ta place – visages noirs, type arabe, yeux bridés – et tu as acquiescé. Puis j’ai évoqué avec toi le visage de mon fils, dont la maman est malienne, et tu m’as répondu : « Oui, mais lui, c’est différent ». J’ai ri. J’étais fatigué. Nous en sommes restés là. Lire la suite

DECHEANCE DE NATIONALITE : inutile, raciste, délétère

 

La déchéance de nationalité, rarissime, n’était jusque là possible que pour les binationaux naturalisés depuis moins de 10 ans, 15 ans « pour les crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Même approuvée par une majorité de sondés, dont le souci de sécurité est compréhensible, l’élargissement à tous les bi-nationaux de cette disposition est une mesure raciste, sans utilité dans la lutte contre le terrorisme, une mesure délétère pour l’unité nationale si souhaitable dans ces circonstances.

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Cette proposition gouvernementale est bordée par des dispositions du droit international – la Déclaration universelle des droits de l’homme notamment –, qui interdisent de transformer quelqu’un en apatride. Elle ne s’appliquera donc qu’aux Français qui disposent d’une autre nationalité, situation que la mondialisation des relations humaines et les hasards de l’amour a rendue fréquente. Cette discrimination qui stigmatisera des centaines de milliers de citoyens nés Français rencontre l’imaginaire apeuré de ceux qui, comme le prêchent Nadine Morano ou Marion Maréchal-Le Pen, peinent à reconnaître comme de vrais Français ceux dont la couleur ou le patronyme signalent qu’ils ont des ascendances familiales au Sud de la Méditerranée. En clair, les Arabes et les Noirs. Ce sont eux qui sont visés, chacun le sait.

Durant l’occupation nazie, des hommes et des femmes, des Français, ont collaboré avec l’envahisseur et se sont fait complices de crimes quantitativement beaucoup plus meurtriers que les horreurs dont les suppôts de Daech ont récemment accablé Paris. Lire la suite