L’ART EST UN FAUX DIEU – Le livre vient de paraître

Capture d’écran 2020-05-30 à 08.51.33La figure qui illustre la couverture de mon nouvel essai L’art est un faux dieu est l’oeuvre d’un jeune plasticien malien, Ibrahim Bemba Kébé. Sa figure ironique, sa gestuelle provocatrice, son évidence, ses secrets, les résidus urbains qui constituent sa chair, le rappel du patrimoine spirituel de la confrérie du Korè (1) dont le personnage est explicitement inspiré s’accordent en un geste unique sans rien perdre leur hétéroclite fantaisie. Le facétieux wokloni (2) ne ressemble pas, pas du tout, à la statuaire ancienne du Mali. Pourtant, chacun le sent « africain ». La couleur noire des débris plastiques dont il est recouvert ? Peut-être… Mais s’il était jaune, ou bleu ? Quelle place lui donner sur l’échelle graduée de l’histoire de l’art, celle que s’est imaginée la modernité occidentale ? Ce malicieux gnome du XXIe siècle prendrait-il en défaut l’universalisme comminatoire de l’ÂÂÂÂÂRT ?

Woklo, tu iras peut-être au musée, tu y as déjà fait des stages, mais je ne te sens pas trop fait pour t’y sentir à l’aise. Merci en tout cas de nous suggérer en un seul clin d’oeil tant des situations que j’ai tenté d’analyser dans ce livre.

(1) Le Korè est une confrérie initiatique active dans le centre et le sud du Mali dont la classe supérieure, les korèdugaw, se livrent à des processions burlesques d’autodérision.

(1) Petit woklo, le woklo est une sorte de gnome ou d’elfe de l’univers culturel mandingue.

L’éditeur, Jacques Flament / Alternative éditoriale a mis le premier chapitre de L’art est un faux dieu en libre lecture sur son site. Je le propose ici sous cette forme avec le plaisir de l’auteur fraîchement publié. Il suffit de cliquer sur le texte pour le faire ensuite défiler de bas en haut. Bonne lecture. Je reviendrai à la suite, en quelques phrases, sur cette « alternative éditoriale » si bien accordée au propos de cet essai.

Cliquer pour accéder à 411lireunextrait.pdf

 

Jacques Flament / Alternative éditoriale

Tout auteur connait l’impatience du moment ou « sort » le livre. C’est fait. C’est aussi une période de grande connivence avec l’éditeur, surtout quand il a fait le choix de rester à taille humaine, artisanale, comme Jacques Flament : grand catalogue, petite maison… Jacques Flament/Alternative éditoriale.

Voici deux caractéristiques de cette « alternative » :

1 – Circuit court

Le choix des circuits courts est explicitement référé à ce mouvement de l’agriculture éco-responsable qui multiplie les moyens d’établir des réseaux mettant le plus directement en contact le producteur et le consommateur. Les livres de JF/AE ne sont pas confiés aux grosses marques de distribution, mais proposés le plus directement possible, soit en l’achetant chez l’éditeur qui le livre via le service public de la Poste, soit en le demandant à son libraire qui alors se le procure par la même voie.

2 – No pilon

Les nouvelles techniques d’impression permettent les petits tirages et le circuit court leur donne de l’avenir. Quand le premier tirage s’épuise, second tirage, et ainsi de suite. Il en résulte un gros avantage écologique, la mise au rebut du « pilon », cette destruction des stocks d’invendus qui est la destinée de millions de livres chaque année.

Ces principes permettent de se passer des monstres qui ont monopolisé la distribution du livre et qui soumettent éditeurs, libraires, lecteurs à leurs conditions et à leurs choix. Ils aident à constituer une vraie communauté humaine autour du livre et de ce qu’il porte. A l’échelle de notre humanité de 7,5 milliards d’habitants qui parlent des milliers de langues, même les maisons d’éditions les plus connues ne peuvent constituer autour d’elles que de « petits » réseaux. Le retour au sens, à la rencontre des esprits, à la constitution de familles d’esprit autour d’un livre, l’établissement de synapses entre ces familles, voilà une alternative vraiment accordée à ce qu’ouvre la post-modernité et le XXIe siècle. Substituer l’universalité de la conversation à l’universalisme d’alignement. Merci Jacques Flament, de le tenter.

Bon, j’ai encore une idée derrière la tête. Si le livre vous tente, demandez à votre libraire de se le procurer ou achetez-le directement ici (no Amazon !) : https://www.jacquesflamenteditions.com/411-lart-est-un-faux-dieu/

 

 

Ce site s’associe à la SOUSCRIPTION de BiBook, l’éditeur numérique africain, entravé par la crise sanitaire dans son action en faveur de l’accès au livre et à la lecture en Afrique. Celles et ceux qui souhaitent y participer peuvent s’y joindre en cliquant sur ce texte.

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POLITIQUES CULTURELLES : LA PISTE « POESIE »

Sclérose des politiques culturelles ? Vampirisation marchande ? Epuisement des anciens paradigmes ? Et si la poésie avait déjà posé le pied dans les paysages inconnus de la post-modernité ? Je sors d’une réunion organisée par le collectif culture du Parti communiste français autour des politiques culturelles. Le PCF a joué un rôle historique important, appréciable et généralement apprécié dans la mise en place de services publics de la culture qui se sont sédimentés et comptent désormais dans ce qui fait la singularité française. Il souhaite aujourd’hui remettre sur le chantier ces questions de première importance pour tout être humain, espèce qui, dans l’ensemble, place les mouvements de la tête et du coeur au dessus des appels du ventre. Cette rencontre m’incite à mettre au pot cette réflexion sur la poésie, ou plutôt sur « l’économie » de la poésie, qui hantait déjà en 1995 la conclusion de mon ouvrage « Pour la gratuité »[1].

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Une image de Ne pas plier/Gérard Paris-Clavel

La vie culturelle et artistique est prise dans un paradoxe. D’un côté, elle est ou devrait être le lieu où les humains symbolisent le nouveau cycle historique planétaire, cycle encore imprédictible que l’indication sans contenu de « post-modernité » tente de désigner, craquement tellurique, faille sismique où se perdent les anciennes certitudes sans qu’on sache encore la destinée de cette subduction. La domination occidentale, « blanche », – et son brutal projet d’unification de l’humanité autour d’une histoire unique dont elle serait par nature la locomotive – a entamé sa désagrégation. Le rêve boulimique d’un progrès fondé sur l’accumulation sans fin menace non la planète, grosse monture très résistante, mais la survie du cavalier, nous. La financiarisation capitaliste de la production des biens qui nous sont nécessaires pour vivre et constituer la société fait des bulles qui sont des bombes. Les injustices vertigineuses, irréelles, qu’elle enfante ébranlent désormais le projet de se parler, de s’entendre, d’échanger, de partager, en bref de faire humanité.

Face à cet enjeu proprement inouï, les politiques culturelles semblent calcifiées, prises dans l’étau d’institutions publiques pensées dans et pour un autre temps, dans le presse citron du marché capitaliste et dans le corset de paradigmes enfantés par un hier déchu. Il y a pourtant un lutin qui semble avoir échappé à cette arthrose et être déjà passé de l’autre côté du miroir. Cet elfe a pour nom « poésie ». Un fanal pour penser la nécessaire, l’urgente refondation de notre vie culturelle ? Lire la suite

DANSE CONTEMPORAINE, QUESTIONS D’AFRIQUE

Le samedi 18 mars 2017, le château de Morsang-sur-Orge et le théâtre de l’Arlequin réunissent quelques grands noms de la danse africaine d’aujourd’hui sous les auspices des Rencontres Essonne Danse et du centre de développement chorégraphique La Briqueterie  (Val-de-Marne) pour un colloque dansé sur le thème « Danse contemporaine, questions d’Afrique ». On me demande d’introduire ce colloque par une réflexion sur les enjeux civilisationnels qui se cachent sous cet intitulé et que je crois majeurs. Le texte qui suit développe les idées exprimées lors de cette intervention. 

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Qudus Onikeku (Nigeria) et Tidiani Ndiaye (Mali) dans la pièce We almost forgot

Les deux termes de l’expression « danse contemporaine » sont pris dans une troublante ambivalence.

« Contemporain », qui dans le sens courant suggère une simple simultanéité dans le présent, englobe ici une période, longue période, de l’art chorégraphique occidental, celle qui succède à la danse « moderne », qui elle même a pris la suite de la danse « classique ». Pour approcher ce que suggère cette périodisation, le mot clé est l’adjectif « moderne », un terme gorgé de sens et d’idéologie, ici clairement affecté à une période passée, dépassée, remplacée. Si on en cherche le nerf au delà de son usage commun ou des classifications parfois changeantes des historiens, l’adjectif « moderne » qualifie un dessein politique et civilisationnel intrinsèquement progressif né à la fin du XVe siècle européen et qui se représente sous la forme d’un vecteur allant du moins au plus, des automatismes de l’enfance à l’autonomie de l’âge adulte, de la domination par la nature à la domination sur la nature, du règne de la dogmatique religieuse à celui de la raison, du figé au nouveau. C’est dans ce sens daté et situé que ce terme sera ici employé. Lire la suite

AVIGNON, FABRIQUE DE LA CLASSE DOMINANTE ?

Que « fabrique » le festival d’Avignon ?

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Avril 2020 – « Une annulation serait une catastrophe » a-t-on beaucoup dit, lu, entendu alors que le maintien de l’édition 2020 des festivals d’Avignon, le in et le off, est sous les bourrasques du covid 19. Une « catastrophe » aussitôt traduite en chiffres. Catastrophe économique, solide, palpable, matérielle, chiffrable. Rares sont les commentateurs qui se sont risqués à poser la question du sens présumé de la manifestation. Leur est-elle même venue à l’idée ? Amputer la société et la civilisation d’une fabrique de sens : catastrophe ? Restons sérieux ! Oui, l’annulation du festival sera économiquement pénalisante, parfois catastrophique pour les compagnies, les commerçants, les agences de tourisme, pour les loueurs de caves métamorphosées en salles de spectacle ou pour les mendiants qui font la manche devant les files d’afficionados. Oui, la catastrophe chiffrée aura des conséquences sur le destin de beaucoup, destin qui ne se chiffre pas, qui est sans prix. Oui, il faudra tout faire pour l’atténuer. Mais quand spontanément l’évocation d’un trou financier submerge la menace d’une perte de sens, il y a de quoi s’inquiéter. Comme si l’essentiel de la manifestation n’était plus là où l’avait placée ses inventeurs : Avignon, atelier pour fabricants de perspectives et de mises en commun : artistes, publics, agents municipaux, épiciers, balayeurs, bateleurs, bateliers, Quartier intramuros, quartiers extramuros, réfugiés ultramarins ? Faites pas chier, les poètes ! Dans un texte écrit en 2016, je m’interrogeais déjà sur ce que « fabrique » le festival d’Avignon. L’interrogation persiste. On ouvre les fenêtres ?

Texte de 2016 – « Révolution », « grands changements », « forces collectives », « vent de l’histoire »… Les deux phrases par lesquelles Olivier Py, directeur du festival d’Avignon, introduit la 70e édition de la grande manifestation théâtrale ne manquent pas d’invocations à la transformation de la société. Désespérant d’un personnel politique réduit aux « manigances politiciennes » et qui « n’a plus à cœur que ses privilèges de classe », le metteur en scène fait appel à l’art. Il écrit notamment : « C’est au théâtre que nous préservons les forces vives du changement à l’échelle de l’individu. Face au désespoir du politique, le théâtre invente un espoir politique qui n’est pas que symbolique mais exemplaire, emblématique, incarné, nécessaire. »

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Loin de la cour d’honneur, dans Bangui brisée par la guerre, le quartier de Kolongo plage se rassemble autour de la scène, s’interroge, vibre ensemble, conjure le crépitement des armes. Urgence de l’art vivant. Des regards qui sont une pressante invitation à reconstruire la fonction politique du théâtre. Même en Avignon. (photo Pascale Gaby)

Toute personne qui a le privilège de fréquenter les théâtres et de s’y sentir à l’aise partagera beaucoup de ce qu’écrit Olivier Py dans son éditorial. J’en suis. Oui, l’élargissement de l’imaginaire habite nécessairement l’ouverture émancipatrice de l’histoire humaine. Il est son oxygène. Oui, le théâtre est un des pôles où cette ouverture se joue. Oui, l’anémie croissante des politiques culturelles publiques indique un essoufflement des perspectives politiques.

Mais le vibrant exposé ne vient pas seul. Il s’accompagne aussi de tarifs – 38 € pour le public « normal », 15 € pour les moins de 18 ans – et d’une avalanche de logos indiquant l’implication du politique de droite et de gauche dans l’existence du festival sans considération de manigances politiciennes. Signature : Ministère de la Culture et de la Communication, Ville d’Avignon, Communauté d’agglomération du Grand Avignon, Département de Vaucluse, Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Sans parler des puissances économiques qui suivent le cortège… Comment interpréter le grand écart entre l’élan révolutionnaire censé définir l’esprit de la manifestation et les circonstances concrètes qui l’enchâssent dans une réalité sociale et politique si éloignée de l’intention. Lire la suite

POUR LA GRATUITE – postface de la nouvelle édition

 

Publié en 1995, réédité très augmenté en 2006, mon essai « Pour la gratuité » reparaît dans la collection poche des éditions de l’Eclat et sera disponible en librairie à partir du 31 mars 2016. Cette réédition inclut une postface intitulée « La marchandise humaine ». Elle reprend partiellement un texte publié dans ce blog sous ce titre et prononcé en 2010 à l’occasion d’un colloque du CREDIMI sur le thème « Droit et marchandisation ». Voici en apéritif cette postface qui met en perspective l’ultime forme de marchandisation que fut la traite négrière et établit ainsi la jonction entre deux de mes champs d’action et de réflexion : le dépassement du règne de l’argent ; le passage à un monde multipolaire et équilibré où la domination occidentale ne sera plus qu’un chapitre dans les livres d’histoire.  

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L’enfer est une plage de sable fin baignée par la mer bleue. Au large, un trois-mâts. Une chaloupe s’en détache, gorgée d’hommes à peau noire. Semaine après semaine se joue là un des épisodes les plus accomplis de la férocité humaine, l’immémoriale tragédie qui conduit la progéniture d’Adam et Eve à profaner la Création1 où elle figure, dit-on, « l’image de Dieu », à déshumaniser d’autres humains, à s’y essayer, à n’y jamais parvenir, à s’y acharner sans fin, férocement. Là, sous le ciel muet des Tropiques, la recette consiste à faire comme si « l’image de Dieu » pouvait être réduite à la condition des choses inertes qu’on achète et qu’on vend, des outils qu’on manipule et qu’on remise. Tâche impossible. L’humain n’est pas une chose, il a des yeux, une voix. Il n’est pas inerte, il regarde et chante. Il rétablit sans cesse, par la voix, par le regard, par les poings l’indestructible lien qui fait de son bourreau son semblable. Le bourreau le sait, s’en exaspère. Le bourreau martèle et martèle l’indestructible lien. Sans succès, sauf d’ajouter l’enfer à la Création.

La déshumanisation, cette entreprise proprement satanique au sens précis que les religions du livre donnent à la figure de Satan, a pris et prend de multiples visages chaque fois atrocement singuliers. Ici, dans la Caraïbe vidée par génocide de ses premiers habitants, la profanation consiste à transformer des humains en objets désingularisés, en valeurs marchandes évaluables sur la même échelle que les balles de cotons ou les tonneaux de sucre, évalués par un simple signe arithmétique, jouets offerts au bon plaisir du consommateur final. Marchandise.

À n’y jamais parvenir.

À s’y acharner. Lire la suite

ETHIQUE DE LA GRATUITE

Le 22 septembre 2015, l’Université populaire du pays d’Aubagne et de l’Etoile m’invitait à donner une conférence sur le thème « Ethique de la gratuité ». Cette intervention prenait place dans une des quelques agglomérations françaises ayant institué, avec grand succès, la gratuité des transports publics, une réforme très populaire que le passage à droite de cette collectivité territoriale n’a pour l’instant pas affectée, mais qui est menacée par la métropole en cours de constitution. Cette passionnante innovation politique a été analysée dans un libre que j’ai écrit avec Magali Giovannangeli, alors présidente de l’agglomération sous le titre « Voyageurs sans ticket – Liberté, égalité, gratuité » (Editions Au diable Vauvert) La conférence du 22 septembre a été filmée et enregistrée. La voici :

#Burkina : EMPECHER LE RETOUR A L’ETAT-MANGEOIRE

Faire comme si les tripatouilleurs défaits de la Constitution burkinabè étaient des agneaux nouveaux-nés et qu’ils pouvaient dignement se présenter au suffrage de leurs concitoyens au nom d’une « démocratie » confondue avec le scrutin majoritaire, c’eût été dire au peuple : les mots n’ont pas d’importance, le petit jeu reprend comme avant, jouez votre partie en votant, nous jouerons la nôtre en volant. Les événements en cours au Burkina Faso ouvrent une fenêtre exceptionnelle pour dépasser l’Etat-mangeoire, presque généralisé en Afrique et si néfaste à la liberté politique et au développement.

Vers-un-nouveau-coup-d-Etat-au-Burkina-Faso

La séquence historique à laquelle est confronté le peuple du Burkina-Faso est historiquement cruciale. Pour le Burkina. Pour l’Afrique. Pour l’avènement d’un monde équilibré. Elle prend sa source dans le réveil initié en 1983 par Thomas Sankara. Soutenu par le mouvement populaire, le jeune officier propose à son pays de se construire par lui-même une histoire – un cadre institutionnel, mais aussi politique et moral – qui ne soit plus le copier-coller des anciennes perspectives impériales (l’imitation de l’Occident comme figure du progrès), ni des administrations coloniales, « corps étranger » propice à la privatisation des prérogatives publiques par ceux qui en ont la charge, propice également au maintien de l’influence des puissances occidentale. Le pays prend fièrement le nom de ce projet : Patrie des hommes intègres.

L’affaire est lourde de conséquences. Elle met en mouvement la grande question de notre siècle (avec la crise écologique), qui est le dépassement de la domination occidentale. Lire la suite