(1) MACRON-TSIPRAS, MÊME DEBAT ? – l’hypothèse de l’entrelacs

Elu sur des options analogues à celles de Jean-Luc Mélenchon, Alexis Tsipras, le premier ministre grec, a néanmoins pris à contrecœur de nombreuses mesures d’austérité frappant les plus fragiles. Convaincu que le marché et le capitalisme sont la forme normale d’une activité économique efficace, le président français Emmanuel Macron n’imagine pourtant pas proposer la privatisation de la sécurité sociale et affirme vouloir défendre l’école publique. Comment fonctionnent ces contraintes des profondeurs capables d’infléchir des vœux politiques affirmés. Pour ceux qui, comme moi, souhaitent agir sans attendre, agir efficacement contre l’infléchissement libéraliste[1] qu’annonce le programme du nouveau président français, il faut prendre au sérieux le travail immédiatement possible sur ce qu’on nomme usuellement « le rapport de force », terminologie que je crois inappropriée et vis-à-vis de laquelle j’esquisse ici « l’hypothèse de l’entrelacs ». Avec l’espoir de contribuer à donner des mots et à rendre des forces à l’action.

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Alexis Tsipras partage à peu près les options de Jean-Luc Mélenchon. On les a souvent comparés. « Tsipras, le Mélenchon grec ». « Mélenchon, le Tsipras français ». Tsipras conduit le gouvernement de la Grèce au nom du peuple grec qui l’a choisi par deux fois. Acceptons le postulat que l’homme est sincère, convaincu des idées sur lesquelles il a été porté à la tête du gouvernement, qu’il a le sens des responsabilités que lui confère le suffrage universel, responsabilités par rapport à l’histoire de son pays, à la survie de son peuple, par rapport aux options politiques sur lesquelles il a recueilli l’adhésion de la majorité. Le corollaire en est que la politique concrète qu’il applique aujourd’hui, si différente de celle espérée, si cruelle parfois pour les pauvres, ne « représente » ni son intime sentiment, ni les vœux de ses électeurs, mais un empêchement en partie externe sur lequel la volonté politique et l’assentiment majoritaire du peuple ont assurément de l’effet, mais insuffisant.

La pensée et le vocabulaire politiques usuels dans ces situations évoquent le « rapport de forces », en l’occurrence un rapport de forces contraire aux vœux du peuple grec et que son choix électoral n’est pas parvenu à renverser. Je pense que la notion de rapport de forces, emprunté à la physique, est à peu près utilisable pour décrire et analyser des conflit sociaux « simples », par exemple une grève, mais comporte une faiblesse qui souvent gène l’action quand il s’élargit à l’histoire des sociétés. Lire la suite

BURKINA FASO : DE QUELLE « DEMOCRATIE » PARLE LE CND

« La Constitution française de 1946 institue par son article 44 que « les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la Présidence de la République ». En excluant du suffrage les complices avérés du tripatouillage constitutionnel tenté par Blaise Compaoré, la transition burkinabè donne à la notion de démocratie un contenu concret ancré dans l’histoire concrète du mouvement populaire. Une bonne nouvelle !

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Après sa révolution d’octobre, le Burkina Faso a engagé de façon exemplaire une transition qui visait à sortir à la monopolisation du pouvoir par un clan et à remettre la nation sur le chemin de la liberté politique. La junte qui vient de renverser les autorités de cette transition et qui représente sans fard les intérêts du clan déchu n’hésite pourtant pas à s’autobaptiser Conseil national de la « démocratie ». Et il argumente en dénonçant une disposition électorale prétendument non démocratique parce qu’elle écarte du scrutin les personnes ayant explicitement soutenu la tentative de modification constitutionnelle permettant à Blaise Compaoré de se représenter ad vitam aeternam.

Cet argument, le trouble qu’il crée, les enjeux qu’il camoufle méritent qu’on s’y arrête, car l’histoire récente du Burkina Faso nous éclaire une fois de plus sur la grande plaie institutionnelle de l’Afrique. Lire la suite

LE DISCOURS QUE N’A PAS PRONONCE LAURENT GBAGBO

Texte publié en février 2011 par le magazine Jeune Afrique

Les tensions électorales reprennent en Côte d’Ivoire. D’autres pays, notamment le Burundi, sont sous la menace de graves violences. Comment maîtriser ces situations complexes. Voici une petite fiction politique que j’avais placée dans la bouche de Laurent Gbagbo au moment où une guerre civile baptisée « crise post électorale » ravageait le pays de Félix Houphouët-Boigny. Pour la réflexion et le débat.

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1992, Alassane Ouattara fait arrêter Laurent Gbagbo pour son opposition au régime de Félix Houphouët Boigny

Abidjan, le 1er décembre 2010

Mes chers compatriotes,

La Commission électorale indépendante vient de me remettre son décompte des résultats de l’élection présidentielle. M. Alassane Dramane Ouattara y est crédité de 54,1 % des suffrages. Avant de vous indiquer quelle est la conduite que je me fixe dans cette circonstance, permettez-moi de vous rappeler les conditions très particulières dans lesquelles j’ai été amené à exercer le pouvoir suprême.

Elu en 2000, j’ai tenté de mettre en pratique les idéaux qui depuis l’origine ont guidé mon engagement politique : souveraineté effective de la Côte d’Ivoire, avancée vers une plus grande autonomie économique, souci des besoins sociaux, respect d’institutions démocratiques essentielles comme le multipartisme ou la liberté de la presse… Lire la suite