Guerre au Sahel – SORTIR DE L’IMPUISSANCE

La convocation à Pau par Emmanuel Macron de cinq chefs d’Etat du Sahel disait de façon presque caricaturale les dysfonctionnements historiques qui plombent la construction d’une alliance efficace entre les peuples concernés, peuple français, peuples du Sahel. Imagine-t-on le président malien convoquant le président français et ses homologues d’Afrique sahélienne à Aguelhoc[1] pour faire le point sur la protection notoirement accordée par la France aux visées séparatistes de certains groupes touareg[2] ? J’ai le sentiment que cet épisode des relations franco-africaines est un événement où se percutent beaucoup des entraves qui bloquent la situation et provoquent un lourd sentiment d’impuissance.

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Victimes nigériennes (à gauche) et françaises (à droite) du conflit sahélien.

 

Côté français, « l’invitation » disait ce qu’elle avait à dire et qui n’était pas à dire, qui fait inutilement durer un autre temps. Persistance obstinée des automatismes impériaux. Côté africain, elle venait dans un contexte de décomposition avancée des pouvoirs publics et de défaites militaires successives qui rendait malaisé, pour les chefs convoqués, d’y parler avec autorité.

Brouillages historiques

Embrouillamini également chez les peuples concernés. La France, « l’idée France » provoque en Afrique, au Mali en tout cas, un sourd ressentiment qu’on peut comprendre. La forme même du sommet avorté de Pau a été vécue comme une insulte. Il est juste que le chef des armées françaises demande de ne pas laisser calomnier les jeunes soldats qui exposent leur vie dans les combats du Sahel. Mais la forme choisie disait trop qui est maître du jeu.

Et puis, les peuples africains aux chefs de qui cette demande était adressée entendent d’autres voix. Par exemple celle qui, devant la porte des consulats, leur dit : Paris est la plus belle ville du monde, la ville la plus visitée du monde, mais pas pour toi, pour toi c’est sur photo. On parle de communautarisme pour leurs parents français ou émigrés quand ils sont trop proches les uns des autres, surtout autour de la mosquée. Mais au moins les afro-descendants de France parlent-ils presque tous le français. Les petits quartiers chics et protégés où l’on voit se regrouper les Blancs qui vivent dans les métropoles africaines ? Communautaristes ? Pas du tout ! Laïcs. Républicains. Ilots voués à l’universalisme francophone – parler les langues locales, ça sert à quoi ? –, sauf le vague « A ni tié » ou « Fo nda goy » qui, à Bamako ou à Niamey, remercie avec un petit sourire complice un domestique attentionné.

Ce ressentiment nourri de cent mini-anicroches et de mille lapsus sémantiques véhiculés par le dépôt du colonialisme dans la langue française, comment s’étonner qu’il produise des réactions paranoïdes, des fake news où passe à la fiction une situation de domination économique, militaire, politique, symbolique bien réelle et toujours tellement pesante. Une encoche pourtant dans ce ressentiment, une oasis qui mérite d’être observée avec attention : je témoigne et beaucoup pourraient le faire avec moi que les Français blancs qui, surmontant leur crainte de la « zone rouge », viennent au Mali y sont accueillis généralement sans acrimonie et même avec toutes les grâces de la jatigiya, cette obligation d’hospitalité léguée par les institutions endogènes du Manden. Et quand en 2012-2013 l’invasion djihadiste menaça de faire sombrer le Mali, c’est sans arrière-pensée que les foules furent transportées de reconnaissance pour l’Etat français et son armée. Une porte s’ouvrait pour une échappée hors des remugles mentaux et politiques de l’occupation coloniale. Très brièvement dit, trop brièvement dit, l’occasion n’a pas été saisie par la France officielle. Mais ces pointillés amicaux montrent le chemin : une relation égalitaire et équitable entre Africains et Français est possible et désirable, désirée. On reprend le chantier ?

Changer de lunettes

Le flot et la nature des soupçons télématiques porté par les internautes africains sur les intentions de la France au Sahel, la maladresse avec laquelle l’inviteur de Pau y a répondu donnent le sentiment que le champ de vision est doublement brouillé. La France regarde l’histoire et les ressorts de l’Afrique de trop haut pour y discerner des repères vraiment efficaces. Les peuples du Sahel voient l’action de la France de trop près, sans assez de recul, en jugent le nez sur la première avanie qui souvent leur cache l’essentiel du paysage. Quant à l’Afrique officielle, elle tient trop à sa survie et à son confort pour se risquer à donner un avis. Une petite visite chez l’ophtalmo ?

Deux pays m’ont construit, la France par ma naissance, le Mali à partir du moment où dans ma prime jeunesse, j’ai commencé à y bâtir ma vie. J’aime le terme transgenre de mère-patrie. Mère pour le lien charnel qu’on entretient avec le sol qui nous a donné vie et qui colore la communauté humaine qui s’y forme. Patrie, héritage du père aussi, fa-so[3] comme on dit en bamanan kan, ses lois, ses rites, ses armes… Père et mère qui ont enfanté les mots dans lesquels nous disons nos vies. Quand je critique la France, je le fais comme quelqu’un qui ne peut s’en détacher. Ma mère peut avoir un vilain bouton sur le nez, elle reste pour moi la plus belle, ou du moins la plus urgente, elle reste mienne. Quand je critique les travers de la société malienne – il y a souvent matière à ça –, je reste sien. Et bien sûr, ces deux là, j’aimerais qu’ils s’aiment, qu’ils s’entraident, qu’ils se protègent mutuellement, s’élèvent ensemble, qu’ils fassent ensemble notre XXIe siècle, comme tant d’entre nous qui avons construit cet « ensemble » dans nos familles, nos amours, nos amitiés, nos horizons et même à travers nos querelles.

Quoi qu’on fasse, la domination séculaire du monde « noir » par le monde « blanc » s’est enkystée dans nos représentations et dans nos réflexes. Elle a profondément déformé notre capacité à nommer et à voir. Sortir de ce flou ? En mesurer l’urgence pour le monde, pour nos peuples désormais tellement enchevêtrés ? Encore incapable de se défaire de sa morgue impériale devenue réflexe, la France, inconsciente de son astigmatie, se sent légitime à décider à la place des peuples concernés ce qui est bon pour eux. C’est évident lorsqu’elle se juge protectrice de groupes irrédentistes touareg et interdit Kidal à l’armée malienne. Son sentiment de tout savoir, de tout pouvoir mesurer à son aune traverse aussi son usage des mots. Exemple : les notions occidentales d’ « ethnie »[4] ou de « propriété » n’ont pas d’équivalent superposable en langue bamanan. Les liens sociaux que le français post-colonial désigne sous le terme approximatif et tendancieux d’ethnie, le droit romain de la propriété imposé comme forme suprême de l’appropriation sont des projections de réalités venues d’ailleurs, des enfants d’une histoire singulière, relative, mais vécues comme « universelle » par un empire qui se considère en aboutissement de la destinée des sociétés humaines. Les « experts » qui voient le réel malien à partir de ces lunettes faussées sont assurés de patiner et de faire patiner ceux qu’ils conseillent. Autre exemple : les politiques de coopération culturelle, le champ dans lequel je laboure, appliquent bien souvent une maxime subliminale : « On va vous apprendre les bonnes pratiques qui sont les nôtres »… Comment être artiste, devenir « professionnel » ? Comment inscrire son théâtre dans l’histoire supposée unique et progressive de la misse en scène, un art récent du théâtre occidental ? Comment tourner le dos au « folklore » des danses « traditionnelles » et s’élever aux sublimes concepts de la danse « contemporaine » ? Ça laisse passer à l’occasion des partenariats utiles et d’une belle efficacité. Des œuvres majeures résistent à l’épreuve de ces fourches caudines, mais ça entrave leur capacité à faire sens, à construire de la symbolique commune, à donner à lire un dépassement des rapports de domination, un imaginaire de notre temps où toutes les sources de culture puissent entrer dans la conversation à égale légitimité.

Myopie aussi du côté malien. Le ressentiment qu’entretient l’arrogance réflexe de l’ancien occupant, le manque de confiance en soi né de la longue défaite, la non prise en compte de ces enjeux par les pouvoirs et les forces qui devraient s’y coller conduisent à imaginer des machinations, des pièges cachés, des desseins inavouables sur lesquels nul n’aurait prise. Accuser les autres de ses impuissances, c’est les redoubler. De cette approche brouillée nait le brouillage de rumeurs qui obscurcissent la prise de conscience et entravent l’action. On n’aurait vraiment prise sur rien, sauf sur les échauffements de réseaux sociaux. Comment des jeunes gens à motocyclette peuvent-ils mettre en échec l’armée malienne, l’armée française, tous leurs alliés sur place s’il n’y a pas un coup fourré derrière ? Cherchons le coup fourré !

  • J’ai trouvé ! Ils ont inventé l’accident d’hélicoptère pour ramener notre or dans les cercueils.
  • J’ai trouvé ! Les motos des djihadistes, c’est l’armée française qui les leur fournit.

Remettons les pieds sur terre et sortons de la virtualité. Ces jeunes motocyclistes qui attaquent les campements de leur armée et les villages de leurs parents ne sont pas des OVNI. Ces derniers temps, beaucoup de commentateurs ont mis l’accent sur le fait que nombre d’assaillants se recrutaient parmi la population des zones qu’ils dévastent. Subit regain de ferveur religieuse ? Peu crédible. Insuffisant en tout cas. Tentation des butins qu’on peut attendre de la violence et du banditisme ? Certainement, mais ça ne fait pas une guerre à soi seul. Revendications communautaires ? Elles existent, mais l’histoire proche et lointaine montre qu’elles sont négociables. La nécessité d’organiser la vie commune est au cœur d’institutions endogènes séculaires, toujours en service, toujours efficaces et respectées.

Ce qui est sûr, c’est que les germes qui provoquent l’épidémie ne rencontrent pas d’anticorps suffisamment actifs pour empêcher l’enrôlement de ces jeunes gens par centaines dans une croisade de desperados qui détruit la vie sociale et la vie tout court de gens qui sont les leurs. Pourquoi si peu de résistance à la contamination ? Cette question ne pointe-t-elle pas un chantier immédiatement possible à mettre en œuvre ?

Des anticorps contre la violence

Mon expérience et ma vie professionnelle dans le champ de l’art et de la culture me conduisent à travailler quotidiennement au milieu de cette jeunesse créative, énergique et déboussolée. Quelques ouvertures, quelques points de repères et le miracle est immédiat. Même chez des jeunes qui concrètement, pour certains d’entre eux, ont été tentés par le n’importe quoi, qui en ont parfois gouté les fruits.

Ceux qui ont expérimenté l’efficacité de l’action, pris confiance en eux mêmes, qui ont vu naître de leur énergie d’étonnantes réussites ne sont pas tentés par l’expatriation, moins encore par la croisade obscurantiste et meurtrière qu’on livre à leur pays. Le rôle de la France ? Celles et ceux avec qui je travaille sont généralement assez lucides pour en juger sans complaisance ni animosité outrancière. Ils sont près à passer à la sinankuya, cette alliance nommée par les ethnographes « cousinage à plaisanterie », une sinankyuya d’un nouveau genre, entre Afrique et France, pour désamorcer la cruauté des anciens différends. Rire de cette histoire, en garder la trace par la moquerie et sans l’hostilité. Celui qui se sait fort se sent moins touché par le mépris de ceux qui le croient faible. Il y répond plus efficacement, surtout quand il sait en rire. Il peut même le dissoudre. D’ailleurs, ça et là, l’énergie décomplexée de ces jeunes change déjà la donne et suscite des partenariats inventifs où pointent des relations équilibrées et fécondes.

L’hypothèse de la bonne foi

Là, je vire de bord. Je propose ce que j’appelle « l’hypothèse de la bonne foi ». A mes frères et à mes sœurs de France, je dis tranquillement qu’on peut causer, que si leur regard sur l’Afrique est déformé par les concepts d’ethnie ou de propriété tels qu’ils ont été définis par notre histoire commune, ça va être un peu compliqué, mais que leur foi dans ces mots ne les discrédite pas, qu’elle est dans la nature de notre histoire et que je les sais suffisamment intelligents et ouverts pour entendre que ça fait du bien de se demander pourquoi ils n’ont pas d’équivalent dans les langues de ceux à qui ils sont censés s’appliquer. Le sentiment de culpabilité est vain, paralysant. Parlons-nous ! Ecoutons-nous ! Expliquons-nous !

A mes frères et à mes sœurs du Mali, je dis qu’ils voient, qu’ils savent que le monde bouge – tant d’entre eux ont désormais des parents français, des correspondants partout –, je dis : parlons en confiance à nos frères et à nos sœurs de France. La confiance est un pari. Nous savons tous qu’elle porte un certain pourcentage de déchet, de trahison, de mensonge. Mais la méfiance, c’est 100 % des portes qui se ferment. Parlons-nous en confiance par hypothèse, par principe. Attendons pour dénoncer les trahisons et les mensonges qu’ils soient avérés. Franchissons les seuils que la confiance a ouverts.

Je dis aux habitants du quartier bamakois de Sabalibougou qui viennent nombreux prendre des forces à l’occasion de la magnifique programmation culturelle qu’y donne le réseau Culture en partage :

  • Mes frères, mes sœurs, est-ce que c’est bon ?
  • Adan !
  • Cette joie, vous l’avez permise en venant nombreux aux spectacles, vous l’avez permise en abritant dans votre quartier tant d’artistes de qualité, tant de citoyens de qualité, vous l’avez permise grâce au beau centre culturel qui rayonne à côté de votre marché, mais l’amitié de la France aussi l’a permis. Vous le savez ?
  • Nous le savons.
  • Un peu de l’argent des impôts des Français, mes frères, mes sœurs, est dépensé pour ça, pour vous, pour nous.
  • O diara an yé
  • Vous avez vu les représentants de l’ambassade de France venir chez vous, à l’occasion de certains de ces spectacles, Ils souriaient de plaisir, vous l’avez vu ?
  • An y’o ye.
  • Ce sourire, c’est un cadeau qui leur a été offert par qui ?
  • Anw.
  • Est-ce que ça ne fait pas plaisir d’être ensemble ?
  • An bè nyogon bolo !
  • On continue ?
  • Inch Allah !

Quand un spectacle créé à Sabalibougou, avec des Sabalibougoukaw, vient en France, les spectateurs français, les élèves des lycées de France, mes frères, mes sœurs, mes enfants, en sont émerveillés. Ils sont émerveillés de voir leur imagination s’élargir au monde et s’y reconnaître. Cadeau pour cadeau. Bonne foi.

Pour ce qui m’attache au destin de la France, je me dis que ce sont de bons moments. Pour ce qui m’attache au destin du Mali, je me dis que ce sont des bons moments.

Les lignes bougent

Le report du sommet de Pau, si mal parti pour être utile, le traumatisme de la tuerie d’Inates – 71 soldats massacrés –, la rencontre des chefs d’Etat du G5 Sahel à Niamey ont commencé à faire bouger les lignes. Une certaine façon de parler, une certaine façon de se taire en ont été ébréchées. Cela aura-t-il un effet sur les capacités militaires des pays engagés et de leur alliance ? C’est en tout cas un léger bougé dans cette situation jusque là bloquée. L’acte des présidents du Sahel réunis non à Pau, mais sur les lieux d’une hécatombe de soldats africains dit paradoxalement au président français : «  Vous avez besoin de pouvoir compter sur nous. Notre docilité ne vous apporte rien. » Rassérénés par cette « audace » en partie provoquée par la commotion consécutive au massacre d’Inates, ces chefs d’Etat se sont sentis plus forts, ont gagné en crédibilité pour rendre justice à l’action de l’armée française, ce qu’ils ont fait. En connaissance de cause. Sans que nul n’ignore plus les failles politiques de ce soutien. Et peut être en avançant ainsi dans « l’hypothèse de la bonne foi », seul moyen de se retrouver un jour, vraiment, de sortir de l’impuissance, de se donner les moyens de vaincre.

La relation faussée entre les pouvoirs français et africains n’est pas le seul facteur d’impuissance. Il y en a beaucoup d’autres nés et entretenus sur place. La confiance des soldats dans leur hiérarchie est faible, obérée par les vices endémiques d’Etats souvent dirigés par des chefs qui ont privatisé à leur profit les prérogatives publiques. Même chose pour la société dans son ensemble, traversée de doutes qui ne portent pas seulement sur les capacités de l’autorité publique à la mettre en ordre de marche, qui portent sur ses capacités propres à la résilience. Ces doutes, cette atonie organisationnelle sont le paysage dans lequel se déplacent les armées. Ils sont aussi le marécage d’où s’exhalent les fantasmes par lesquels tant se déchargent sur la France et son armée de cette impuissance. Paradoxe réconfortant : par poches, par bulles, par petits foyers d’action et de conscience, cette atonie est tiquetée de manifestations d’énergie et de créativité, d’appels sincères et solides à la mobilisation, de réussites parfois miraculeuses qui caractérisent aussi les sociétés africaines d’aujourd’hui, leur jeunesse surtout.

Comment cette germination encore éparse peut-elle faire sens, provoquer le sursaut des sociétés, des pouvoirs, des armées, donner corps à la nécessaire « mobilisation générale » qu’appelle l’attaque en cours ?

Tous les champs de la vie sociale sont convoqués : économie, instruction, associations de jeunesse, de femmes, communautés religieuses, etc. Mais il en est un dont la mission propre est de produire du sens, du sens partageable, du sens convainquant, ressenti, du rassemblement pacifique et constructif. Ce champ est celui dans lequel je travaille, le champ de l’art et de la culture. J’en ai évoqué plus haut quelques caractéristiques et quelques expérimentations encourageantes.

Mobilisation générale

Pour conclure : un exemple d’action. Un simple exemple, exemple limité, dans lequel je suis impliqué et dont je ne peux donc parler sans subjectivité ni parti-pris. Le lecteur est averti et il rétablira. Je lui demande seulement de se poser quelques questions quand il en prendra connaissance : est-ce que favoriser énergiquement, délibérément des initiatives culturelles comme celle que je décris plus bas n’est pas en mesure de contribuer à la mobilisation générale des esprits, de produire dans les esprits et dans les cœurs des anticorps qui contribueront à assécher le recrutement des groupes armés ? Est-ce que ce travail culturel et artistique n’est pas le moyen de donner sens à l’action pour le développement, l’instruction, la sécurité, la santé, l’emploi, d’en booster les effets en provoquant du rassemblement, en symbolisant pour tous la perspective et le chemin ? Est-ce qu’on ne peut pas imaginer une prise en charge pensée et solide de telles initiatives, non au coup par coup, mais par une prise de conscience de tous les acteurs concernés par ces enjeux : monde économique, pouvoirs publics nationaux et locaux, autorités endogènes, monde associatif, ONG, « partenaires » étrangers, habitants des villes, des quartiers, des villages… C’est déjà là, par petites touches, par le croisement souvent aléatoire d’engagements pris chacun de son côté. On passe à la vitesse supérieure ?

L’exemple que j’aimerais vous présenter est au départ un projet de spectacle. Juste un spectacle. Le nom du spectacle, c’est Kalach story[5], une kalach qui raconte son équipée meurtrière à travers le continent. L’idée est partie du Congo RDC, pays ravagé par la violence, et a immédiatement envoyé des surgeons au Mali. Des oreilles se tendent au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Bénin… La destinée transafricaine de ce projet ne pouvait pas tenir dans le format né de l’histoire occidentale du théâtre – une œuvre, une compagnie, une carrière… – et si souvent présenté comme le modèle universel. D’autres formats ont été inventés pour l’occasion, notamment sa création simultanée par des équipes artistiques de différents pays.

Pour être audible dans tous ces pays, le projet a été écrit en français, mais la francophonie est ici au service de la diversité linguistique de l’Afrique, vecteur incontournable si l’on veut réellement toucher et réunir les peuples. Une version radiophonique est déjà à l’étude en swahili, en bamanan, en baoulé, bientôt en soninké et en peul. Jonction avec les innombrables radios communautaires que le projet mettra tranquillement, spontanément en réseau. Ouverture des communautés isolées par la violence à une œuvre de paix qui s’adresse à eux comme aux habitants des zones épargnées… Ouverture au monde : en France, en Allemagne, en Inde des partenaires se signalent, contribuent.

Remettre l’issue des crises africaines entre les mains des énergies africaines. Jouer de la langue française pour donner forces aux langues d’Afrique. Passer de bons moments, ici, là-bas, partout, ensemble. N’en attendons pas davantage que ce que ça peut nous donner. Mais là au moins, nous serons sortis de l’impuissance. En face des kalach dont s’arment les groupes armés, il y a la poitrine de nos frères et de nos sœurs engagés dans les armées du Mali, du Niger, du Burkina Faso, de Mauritanie, du Tchad, de France et de quelques autres nations. Chaque cœur qu’on aura détourné de la violence et convaincu de sa puissance de vie, c’est une menace de moins pour nos frères et nos sœurs en armes et bien sûr pour les civils que les bandits terrorisent, une menace en moins pour nous tous. On sort de la routine ? On s’y met vraiment ?

La guerre se gagne au front, mais la paix est un fruit de l’esprit.

 

 

 

[1] Le 24 janvier 2012, l’alliance du MNLA (irrédentistes touareg) et des groupes djihadiste Ançar Dine et AQMI massacrent dans cette localité saharienne 153 soldats maliens qui, dépourvus de munitions, se sont rendus après un siège de 6 jours.

[2] On peut notamment lire à ce propos cette interview à RFI de l’ex-ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand : http://www.rfi.fr/emission/20190314-nord-mali-france-kidal-separatistes-ex-ambassadeur-normand

 

[3] Faso (so = maison, fa = père, maison du père), patrie en langue bamanan ou dioula.

[4] On trouvera à plusieurs endroits du texte des liens renvoyant sur des articles de ce blog qui développent le sujet évoqué.

[5] Le lien renvoie sur un dossier de présentation où celles et ceux qui voudront en savoir davantage peuvent trouver une information régulièrement mise à jour.

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