DECHEANCE DE NATIONALITE : inutile, raciste, délétère

 

La déchéance de nationalité, rarissime, n’était jusque là possible que pour les binationaux naturalisés depuis moins de 10 ans, 15 ans « pour les crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Même approuvée par une majorité de sondés, dont le souci de sécurité est compréhensible, l’élargissement à tous les bi-nationaux de cette disposition est une mesure raciste, sans utilité dans la lutte contre le terrorisme, une mesure délétère pour l’unité nationale si souhaitable dans ces circonstances.

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Cette proposition gouvernementale est bordée par des dispositions du droit international – la Déclaration universelle des droits de l’homme notamment –, qui interdisent de transformer quelqu’un en apatride. Elle ne s’appliquera donc qu’aux Français qui disposent d’une autre nationalité, situation que la mondialisation des relations humaines et les hasards de l’amour a rendue fréquente. Cette discrimination qui stigmatisera des centaines de milliers de citoyens nés Français rencontre l’imaginaire apeuré de ceux qui, comme le prêchent Nadine Morano ou Marion Maréchal-Le Pen, peinent à reconnaître comme de vrais Français ceux dont la couleur ou le patronyme signalent qu’ils ont des ascendances familiales au Sud de la Méditerranée. En clair, les Arabes et les Noirs. Ce sont eux qui sont visés, chacun le sait.

Durant l’occupation nazie, des hommes et des femmes, des Français, ont collaboré avec l’envahisseur et se sont fait complices de crimes quantitativement beaucoup plus meurtriers que les horreurs dont les suppôts de Daech ont récemment accablé Paris. Des dizaines de milliers de juifs, de résistants, d’hommes et de femmes libres ont été victimes de cette alliance entre les bourreaux étrangers et leurs séides français. La Libération venue, ils n’ont pas été déchus de leur nationalité. Ils étaient Français. Ils avaient trahi leur patrie et leurs compatriotes. Ils ont été condamnés pour trahison, sévèrement châtiés et mis hors d’état de nuire.

Philippe Pétain, maréchal de France, a été condamné pour trahison et c’était justice. Il s’était fait complice et organisateur d’indicibles crimes contre l’humanité. Mais nul n’aurait eu l’idée saugrenue de lui retirer la nationalité française. On peut être mauvais français, même ignoble et français, la nationalité n’est pas une décoration qu’on délivre et qu’on retire en fonction des circonstances. Elle sanctionne une réalité de fait. Même si celui qui la porte la dénie, la maudit, la trahit, c’est en Français qu’il le fait, c’est parce qu’il est Français qu’il peut le faire et qu’on peut, le cas échéant, qualifier son crime de trahison.

La racialisation issue du colonialisme, qui s’est construit sur l’idée de la supériorité de la race blanche (la « race pure », la « race » de ceux qui ne se sont mélangés à aucune autre), occupe toujours inconsciemment les esprits. L’empire est tombé et ne reviendra plus, mais son fantôme hante l’attachement à la patrie et le salit. Pour beaucoup, souvent inconsciemment, un Noir ou un arabe n’ont pas la même légitimité qu’un Blanc, un « de souche », à participer au peuple souverain. Pour la satisfaction momentanée de cet imaginaire périmé dont nos compatriotes et notre nation ont tout intérêt à se débarrasser, une loi va consacrer ces distinctions racistes.

La République, si obsessionnellement invoquée, envisage donc de tracer une frontière entre ceux dont la francité est indéracinable et ceux qu’on peut en dévêtir par décision de justice.

Selon la loi même, des centaines de milliers d’entre nous ne seront plus Français comme les autres. Français de circonstance. Français cosmétiques. Demi-Français. Comment peut-on ne pas voir le gouffre vertigineux qu’ouvrirait ce reniement de l’égalité républicaine ? Quoi de plus délétère que de dire à des millions des nôtres, les jeunes surtout, qu’ils sont inférieurs en droit à certains de leurs compatriotes ? Comment certains n’en déduiraient-ils pas que leur appartenance à la patrie n’étant pas reconnue comme égale, ils n’ont pas les mêmes obligations vis-à-vis d’elle ? Et que feront de ce débat artificiellement activé les milliers d’enseignants, de parents, de médiateurs sociaux de toute sorte qui s’évertuent à rassurer ces gens, ces jeunes surtout, sur leur légitimité civique ? La répression est un anti-inflammatoire : indispensable pour éteindre le feu du symptôme. Mais avec cette mesure inutile, raciste, délétère, c’est la fabrique des antibiotiques qu’on bombarde.

Les Français qui, comme certains des terroristes du 13 novembre, se mettent au service des ennemis du pays et massacrent leurs compatriotes méritent qu’on les pourchasse, s’ils en réchappent qu’on les prenne, qu’on les juge et qu’on les punisse au niveau de leur forfait. Qu’ils ne somment Hauchard[1] ou Coulibaly[2]. Ceux qui vivent paisiblement et font tout naturellement société avec leurs compatriotes méritent d’être protégé par une République qui ne fait pas acception des confessions religieuses, des couleurs de peau ou des étymologies patronymiques. Qu’ils se nomment Hauchard ou Coulibaly.

Je ne dispose que de la nationalité française. Du fait de sa mère qui n’est pas née Française, mon fils né Français a deux passeports. On prévoit donc de tracer une frontière entre lui et moi, entre nos droits, entre nos obligations vis-à-vis de cette patrie que je lui ai donnée en héritage ?

LE DEBAT A PORTE

22 décembre 2015 : Christiane Taubira, ministre de la Justice, Garde des Sceanx, annonce que la possibilité de déchoir de sa nationalité un bi-national est retirée du projet de réforme constitutionnelle annoncé par le président de la République.

23 décembre 2015 – ALERTE : HOLLANDE DEMENT SA MINISTRE ET CONFIRME SON VOEU D’INSCRIRE DANS LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE LA NATIONALITE A DEUX VITESSES QUE PROPOSE LE FRONT NATIONAL

 

[1] Maxime Hauchard, membre de Daech né à Bosc-Roger-en-Roumois (Eure), s’est fait filmer en train de décapiter un otage de l’organisation terroriste (novembre 2014).

[2] Amedy Coulibaly, membre de Daech né à Juvisy-sur-Orge (Essonne), est l’auteur de la prise d’otage de la superette casher de la Porte de Vincennes (9 janvier 2015).

 

8 réflexions sur “DECHEANCE DE NATIONALITE : inutile, raciste, délétère

  1. Je ne comprends pas la bi-nationalité : il faut choisir entre LE pays de son coeur en cas de guerre, nous devrions même interdire la bi-nationalité comme certains pays car si les deux nations concernées se mettraient en guerre en eux, ces personnes bi-nationales devraient choisir laquelle de ses deux nationalités dans ce cas ? La traîtrise prendra place forcément dans des circonstances pareilles ! et quelle serait la justice à appliquer pour ces bi-nationaux si la traîtrise doit être jugée pour ces bi-nationaux ? Pour mon cas, j’étais né chinois et mes parents avaient le passeport taiwanais mais le gouvernement chinois de Chine populaire avait donné l’ordre au gouvernement malgache de changer tous les passeports des citoyens taiwanais à Madagascar de changer par intimidation tous nos passeports taiwanais en passeport chinois de Chine populaire au risque de nous faire chasser de Madagascar, ils étaient des dizaines de milliers de détenteurs de passeport taiwanais à quitter le pays de force dans les années 1975-2000 après que le gouvernement malgache avait chassé les militaires français du pays pendant les révoltes de 1972 et 1973, mais saviez-vous que nous devions demander un visa de tourisme pour rentrer en Chine pendant cette même période ? D’un côté, la Chine nous forçait à prendre leur passeport mais de l’autre, ce pays nous exigeait un visa de tourisme pour visiter ce pays, il fallait savoir si nous étions considérés comme citoyen ou pays ? Dieu merci que la France m’avait accordé la nationalité française pour ne plus sentir chinois du fond de mon âme … nous n’étions que des intrus et des indésirables aux yeux de la Chine malgré nos origines ! je suis fier d’être français depuis …. En cas de conflit, nous devrions choisir UN SEUL PAYS de coeur, point barre ! sinon on doit être considéré comme un traître

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    • Merci de ce témoignage qui montre la complexité de ces questions dans une société planétaire mondialisée. Vous n’appréciez pas la possibilité de la bi-nationalité. C’est légitime, mais pour ma part, j’y vois une évolution très positive qui porte une dynamique de paix. Renoncer à une de ses nationalités est un acte libre de toute autre nature que la proposition gouvernementale de déchéance de la nationalité. La question de la bi-nationalité en temps de guerre est sérieuse. Mais dans la situation actuelle, le terrorisme ne se recommande pas d’un Etat mais d’une organisation criminelle.

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  2. Quand on dit les « bi-nationaux » ca vise certaines nationalites et pass d’autres ? Peut-on envisager de retirer sa nationalite francaise a un franco americain ou un franco suedois par exemple ?

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    • Sur le papier, ça vise tous ceux qui ont plusieurs nationalités. Dans les faits et dans « l’ambiance » actuelle, ça concerne principalement les centaines de milliers de Français « issus de l’immigration » comme on les désigne souvent. Cette réalité est relativement nouvelle et massive. Elle requiert beaucoup de vigilance et de soin si l’on veut faire peuple tous ensemble. Notre concitoyenneté n’empêche nullement que les uns et les autres soient pourchassés et punis à la hauteur de leur forfait s’ils en ont commis. J’ai essayé de montrer que la déchéance de citoyenneté instituée de façon discriminatoire n’apporte rien à l’efficacité de la répression, mais que par contre elle fait peser de graves menaces sur la cohésion du peuple. Pour cette raison, je la crois de nature à aggraver pour tous le danger dont elle est censée nous protéger. Je pense aussi qu’elle est imbibée de ces calculs politiciens qui détournent les citoyens de leurs responsabilités civiques. Il est très vraisemblable qu’elle ne puisse franchir l’étape du Conseil constitutionnel.

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  3. J’apprécie et je vais relayer. Dans cet immense questionnement ( et trop souvent un bloc de certitudes ) dans lequel nous plongent les drames humains en différents pays, les attitudes et choix devraient s’inspirer de textes comme celui-ci. Merci Jean-Louis. René Piquet

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