DES IGNORANCES DISCRIMINANTES

Ce texte a été publié dans l’ouvrage collectif initié par le GFEN « Pour en finir avec les dons, le mérite, le hasard », éditions La Dispute 2009

« Un des romans fondateurs de la littérature africaine de langue française a pour titre « L’enfant noir ».  » L’enfant blanc » n’est pas un titre plausible pour un roman français. L’enfant français d’un roman français est un enfant tout court. Dans un roman français, on n’écrira pas : « La petite blanche s’est longtemps couchée de bonne heure »

Parmi les dizaines de milliers de manuscrits retrouvés à Tombouctou, un traité de rhétorique.

Parmi les dizaines de milliers de manuscrits retrouvés à Tombouctou, un traité de rhétorique.

Les Occidentaux cultivés situent spontanément la Bible ou la tragédie antique aux sources de leur culture. En effet, la Grèce de Sophocle, la Rome de Sénèque, l’Asie mineure d’Abraham et de Jésus, l’Afrique de Moïse ou d’Augustin colorent jusqu’à présent, et pour longtemps sans doute, le bain de représentations dans lequel se dit l’Occident. A l’inverse, l’Afrique subsaharienne, ce qu’on appelait naguère l’Afrique noire, peuple l’imaginaire européen de symboles et de gestes ressentis par certains comme fascinants, par d’autres comme négligeables, mais en tout cas radicalement hétérogènes. Il y aurait des authenticités parallèles à préserver au nom de la diversité culturelle ou à conformer à la civilisation mondialisée de l’Empire, ou les deux, mais nulle parenté entre elles.

Or l’histoire biblique et la pensée platonicienne véhiculées par l’Islam sont présents sur le territoire de l’actuel Mali dès le VIIIe siècle de l’ère chrétienne. On y rencontre déjà des hommes nommés Jean (Yahia), Jacob (Yakouba) ou Zakarie (Diakaridia), des femmes portant le nom d’Ève (Awa) ou de Marie (Mariam). Plus tard se développe dans toute la zone sahélienne un Islam de confrérie inspiré du soufisme et relié par ce fil à la mystique néo-platonicienne. L’enseignement du prophète Mohammed se nourrit des doctrines chrétiennes et juives de son temps, qui depuis des siècles se tissent avec la philosophie grecque.

Bien entendu, l’enseignement de ces traditions dans le Wagadou[1] du VIIIe siècle ne fait pas du futur Mali une copie de l’Occident. L’influence des commerçants musulmans se trame avec les traits culturels et religieux qu’ils rencontrent dans la ville capitale de Koumbi et qui lui pré-existent. Ces traits eux aussi, ces traits qui ne doivent rien à l’effervescence religieuse et philosophique de la Méditerranée orientale marquent fortement le visage de l’Afrique sahélienne. Mais quand l’Occident se place en seule descendance légitime du patrimoine culturel judéo-hellénique, il opère sans la penser une captation d’héritage. Les rives des fleuves Niger ou Sénégal en connaissent l’influence plus d’un demi-millénaire avant celles du Potomac. Le souvenir de Jésus, Issa dans la tradition musulmane, parvient dans l’Ouest du Sahel dans un temps où de vastes régions d’Europe septentrionale en ignorent tout.

Voici un autre exemple significatif de la torsion imposée à nos représentations par l’histoire de la domination occidentale. Un des romans fondateurs de la littérature africaine de langue française a pour titre « L’enfant noir ». Le livre est connu. Un film en a été tiré. Son auteur, le Guinéen Camara Laye, est enseigné dans les écoles d’Afrique et parfois même en Europe. Le titre de l’ouvrage nous apparaît limpide, légitime, évident. Il ne l’est pas. Il est au contraire contaminé jusqu’à l’os par la maladie des représentations auscultée dans ces lignes. « L’enfant blanc » n’est pas un titre plausible pour un roman français. L’enfant français d’un roman français est un enfant tout court. Dans un roman français, on n’écrira pas : « La petite blanche s’est longtemps couchée de bonne heure »[2]. Malgré les apparences, ce n’est pas la couleur de la peau que désigne l’adjectif « noir » dans le titre de Camara Laye. Ou plutôt, la couleur n’est qu’un faux semblant, un mot pour un autre. Certes, l’enfant dont il est fait récit a la peau noire. Mais la nécessité que ressent l’auteur d’en faire mention explicite, coloriage auquel échappe un écrivain français quand il écrit sur un enfant blanc (c’est-à-dire rose ou beige), ne tire pas son origine de la biologie, mais de l’histoire. Ecrire « l’enfant noir », c’est entériner la distinction entre l’enfant-tout-court, celui dont on n’éprouve pas le besoin de spécifier la couleur, et tous les autres. Écrire « l’enfant noir », c’est signaler qu’il s’agira d’un enfant pas-comme-les-autres. Et c’est carrément bizarre, parce qu’en Guinée, l’enfant justement est noir comme les autres. L’enfant noir, l’enfant dont on éprouve la nécessité de signaler qu’il est noir n’est pas un enfant qu’on veut distinguer de ceux qui l’entourent et qui sont noirs comme lui. Il est un enfant qu’on veut distinguer de l’enfant-tout-court, de l’enfant que le roman occidental décrit sans jamais signaler sa couleur, l’enfant blanc, le modèle de l’enfant. Si l’enfant dont j’écris l’histoire n’est pas l’enfant-tout-court, si je ne spécifie pas littérairement ce qui le distingue de l’enfant-modèle, j’égare mon lecteur et il me reprochera de lui avoir caché une information essentielle. Dans l’esprit de mon lecteur, Noir ou Blanc, la notation de race est essentielle chaque fois que je ne parle pas de l’enfant-tout-court. Ce sentiment non-pensé exprime fidèlement la racialisation des identités humaines (que certains nomment essentialisation) telle qu’elle s’est historiquement construite durant les cinq siècles de domination occidentale (blanche) du monde. Il exprime fidèlement le déséquilibre identitaire ainsi produit entre les enfants tout court (blancs) et les autres dont il faut signaler la race pour bien se faire comprendre.

Le long débat sur la dénomination du musée du Quai Branly, où sont montrées les collections africaines de l’État français, est une autre illustration des mêmes distorsions. La muséographie européenne est fondée sur une représentation vectorielle (progressiste ?) et impériale (universaliste ?) de l’histoire humaine. La pointe du vecteur est la modernité occidentale. Il y a, au Louvre, des œuvres africaines majeures, par exemple les riches collections égyptiennes, mais elles y ont leur place parce qu’une certaine historiographie trouve à les raccorder comme naturellement au main stream qui de salle en salle conduit au  « Sacre de Napoléon ». Dans le tableau de David, Bonaparte porte la couronne de lauriers qu’avait César, amant de Cléopâtre, reine d’Égypte, et sur le mobilier « Empire » qu’on peut admirer quelques salles plus loin, les bois précieux sont incrustés de sphinx et de chimères pharaoniques. Mais que faire des objets innombrables susceptibles d’être abrités sous la catégorie occidentale d’œuvre d’art et qui ne se raccordent pas à cette histoire ? Voilà la question qui plane sur le baptême problématique du musée parisien dont Jacques Chirac a voulu faire leur tabernacle. Première tentative : musée des arts premiers. L’euphémisme sent trop les « arts primitifs » dont il est le trompe l’œil. On l’abandonne pour « musée des civilisations », aux accents plus politiquement corrects. « Les » civilisations moins « la » civilisation ? Ça se rapproche davantage du concept par défaut qui réunit les splendides collections souvent glanées à l’occasion des conquêtes coloniales. Il n’est plus politiquement possible d’entretenir un musée des colonies[3], ce qui raccordait à sa façon les collections pillées au vecteur impérial. Mais la pudeur n’abolit pas les fesses. Le concept doit continuer à endosser malgré tout la discrimination entre la lignée occidentale et toutes les autres. Pour ne pas avouer qu’on institue un musée des arts non-blancs, on euphémise en musée des civilisations. C’est encore un peu trop flagrant et ça détourne mal du soupçon d’occidentalo-centrisme que veut absolument écarter cette institution pieusement vouée à la « diversité culturelle ». Ce sera « Musée du quai Branly », adresse postale anodine, en attendant que l’institution reçoive un jour son sacre attendu : musée Jacques-Chirac. Il y aurait un livre à écrire sur l’avalanche de questions que provoque la moindre prise de distance critique avec les soubassements de ce baptême problématique. Il fait apparaître des enjeux décisifs pour la construction d’une mondialité débarrassée des blocages impériaux. Il montre l’impossibilité pour la lignée culturelle occidentale de constituer seule le langage de l’universalité. Mais à l’inverse, il signale l’urgence de constructions culturelles émancipées du carcan impérial. Polyphonie, mise en dialogue de ce qu’on ne peut faire parler d’une seule voix, non seulement parce que les contenus diffèrent (un contenu, on peut toujours le traduire), mais parce que le langage même s’est constitué différemment. « Musée » ne peut tout dire de notre rapport aux objets anciens remarquables. « Art » ne peut tout dire du critère qui les fait remarquer. Etc.

Ces trois exemples nous parlent d’un processus spontané d’inhibition, de détournement de la connaissance et des savoirs. Spontanément, nous ne discernons pas le cousinage millénaire entre la civilisation du Mali et celle de la France. Spontanément, nous sommes surpris d’en prendre conscience. Spontanément, il nous semble limpide, légitime, évident qu’un écrivain noir titre un ouvrage « L’enfant noir ». Spontanément, nous nous reconnaissons dans une muséographie dont l’histoire occidentale est l’axe et nous perdons le fil quand ce n’est pas le cas. Ce qui est remarquable dans ces trois exemples, c’est que notre égarement ne tient pas à un défaut de savoir, même s’il s’en accompagne souvent. Notre esprit s’égare même quand il dispose des connaissances suffisantes. Toute personne un peu cultivée sait que Mohammed forge sa doctrine au contact de Juifs et de chrétiens et qu’à Tombouctou, on travaille cette doctrine depuis des siècles. Tout ami des lettres dispose des savoirs suffisants pour discerner l’anomalie d’un livre écrit par un Noir et titré « l’enfant noir ». Il n’est pas besoin d’être grand philosophe pour repérer les apories et les ruses qui parsèment la recherche d’une dénomination adéquate au musée des arts non blancs. Mais la pente qui nous détourne de le faire est plus forte. D’un Européen qui étudie l’algèbre, nul ne songe à prétendre qu’il s’arabise. D’un Africain dont la villa est dotée du confort moderne, on dira communément qu’il est occidentalisé. Spontanément, on s’en tient là. Tel est notre héritage d’évidences.

Souvent dans ce texte apparaît l’expression « non pensé ». Non pensé qui n’est pas non su, même si l’un peut s’ajouter à l’autre. L’entretien des ignorances discriminantes a pour condition la persistance de l’impensé, le refoulement des pensées qui heurtent l’héritage. Certains savoirs peuvent mettre la puce à l’oreille, inciter à penser ce qui sort de l’évidence. Quand j’apprends que le musée des arts non blancs expose des sacrements encore en service[4], cette information peut me conduire à me mettre à la place de l’autre, par exemple à me demander si, étant catholique, je vivrais bien qu’on montre comme curiosité ethnographique ou comme œuvre d’art un ostensoir portant l’hostie consacrée. Mais comme ces sacrements ont été arrachés à un monde sourdement vécu comme périphérique, subalterne, dépassé, je peux aussi m’en dispenser, ranger ce savoir dans les caves de mon esprit sans le laisser heurter ma compréhension du monde, c’est-à-dire sans le penser. On peut faire aux idoles ce qui serait sacrilège s’agissant du vrai Dieu. Alors l’ignorance discriminante, l’incapacité à connaître le monde autrement qu’à travers le crible de la domination occidentale survit en dépit de l’information potentiellement subversive. C’est le cas le plus courant.

Quelle pédagogie peut contribuer à sortir d’un type d’ignorances que des savoirs contraires semblent impuissants à dissiper ? Comment ouvrir l’esprit de telle sorte que ces savoirs, au lieu de se laisser conduire au garage comme des pantins, contribuent à une intelligence autonome du monde ? Ces questions de pédagogie et de politique doivent d’abord surgir à la conscience. On s’en est longtemps passé. Les Nègres étaient montrés au jardin d’acclimatation. C’était bien comme ça. Or nous vivons une situation propice à l’invention de nouvelles évidences. Aujourd’hui, et c’est récent, des centaines de milliers d’enfants ou de jeunes qui font la France, mais sont familialement reliés aux anciennes possessions coloniales, éprouvent un urgent besoin de briser l’assignation à résidence dans l’héritage identitaire du colonialisme. Par ricochet, beaucoup de ceux avec qui ils sont en relation ressentent un malaise diffus. D’autant qu’une des qualités de la France est d’être relativement ouverte aux brèches qu’ouvrent l’amitié et surtout l’amour dans les conventions sociales héritées. L’école, et c’est nouveau, accueille désormais dans les mêmes murs des élèves placés différemment par rapport aux ignorances discriminantes analysées dans ce texte, par exemple des Blancs et des Noirs[5]. Autre particularité de cette situation, élèves et enseignants ont le même travail devant eux. Ils partagent ensemble l’impensé, qui se traduit par une transmission inadéquate des savoirs et une réception confuse impropre à dissiper le malaise. Ce qui change, c’est la présence et le ressenti du malaise. Et ça change à cause de l’urgence d’en sortir pour une part significative des élèves (et quelques enseignants), ceux que leur corps ou leur nom relient dans l’imaginaire de tous aux anciens territoires dominés.

Dans les classes des écoles de France, l’enfant noir n’est pas simplement le titre d’un roman du siècle dernier. Il est élève ou camarade. Aucun des euphémismes par lesquels on signale en cherchant à la cacher l’information essentielle sur sa race ne parvient à dissimuler la rémanence de cette curiosité : représentant de la diversité, issu de l’immigration, jeune de nationalité française [6]. Quand on lui pose la question fatale « D’où tu viens mon petit ? », ce n’est pas pour s’entendre répondre « Je viens de Mantes-la-Jolie ». Car la question n’est pas posée à sa personne qui est née dans une banlieue française, ni à la langue latine dans laquelle il parle, pense, construit son esprit, ni à sa culture religieuse originée pour presque tous en Asie mineure. La question est posée à son corps, à sa race. D’où viens ton corps noir, ton corps qui n’est pas de chez nous ? Et quand on croit spontanément, lui compris, que ce corps porterait sui generis de la diversité culturelle (« Parle-moi de ta culture ? »), on ajoute à cette trouble curiosité une confusion pathogène.

Dans ces situations, on voit bien que les effets de l’impensé sont partagés et par le maître et par l’élève. Le fait d’avoir la peau noire ou un nom arabe ne suffit pas à mettre de la lumière dans cette opacité. Mais le maître croit bien faire, tandis que l’élève sent que ça cloche. Ce hiatus peut devenir le point de départ d’une aventure pédagogique inédite et féconde, une aventure dans laquelle l’habituelle distribution des rôles est impuissante et qui doit inventer son itinéraire. On l’a vu, la transmission de celui qui sait déjà à celui qui ne sait pas encore est quasi vaine si l’on ne touche pas à l’impensé colonial. L’enseignant doit d’abord se laisser toucher, féconder par le malaise de l’élève, prendre de la distance avec ses bons sentiments pédagogiques, sentir que ça cloche, comprendre ce qui cloche, éprouver le défaut de pensée qui le conduit spontanément à poser des questions fausses qui provoquent immanquablement de la confusion, de l’inhibition, de la dissimulation ou pire, de la soumission à l’actuelle hiérarchie des identités humaines. L’enseignant doit changer de curiosité. Non plus la curiosité pour une différence raciale essentialisée sous des déguisements divers (culture, origine, etc.), mais une curiosité pour la question elle-même. Comment se fait-il que moi, l’enseignant, j’attends de mon élève, non pas tous les élèves mais celui-ci, qui a la peau noire ou le nom berbère, d’enseigner « sa » culture ? Pourquoi, en même temps, je me place avec mes élèves-tout-court dans la position de celui qui sait déjà à celui qui ne sait pas encore afin de leur transmettre « la » culture ?

Si je ne connais pas la culture que j’assigne à l’enfant noir (en réalité la culture des pays d’Afrique que j’ignore et dont je préjuge qu’elle inonde sui generis le corps noir de mon élève), la bonne voie n’est-elle pas de m’y atteler, puis de la transmettre à tous, dont l’enfant à la peau noire ou au nom berbère qui a beaucoup à apprendre dans ce champ comme dans les autres. Et si, m’y étant attelé, je découvre que cette culture ouvre ma libre compréhension de notre monde commun, ne dois-je pas participer aux actions qui visent à sortir de leur occidentalo-centrisme les programmes de transmission des savoirs ?

Dans la part du travail qui touche à la pure transmission des savoirs, l’élève ne peut pas se mettre à ma place, parce que lui-même ne sait pas encore. Souvent d’ailleurs, il refoule sa maigre connaissance d’un univers dont il ressent confusément qu’il n’est pas valorisant d’y être associé. Mais sur la question impensée qui a provoqué ma bifurcation de curiosité, là oui, il peut beaucoup m’aider. D’abord, c’est lui qui concrètement l’a fait naître. Ensuite il dispose d’un capital d’expérience presque toujours inhibé, mais dont l’éclosion dans le dialogue réfléchi se révèle souvent d’une grande richesse critique. Non pas « parle-moi de ta culture », mais « parlons-nous de notre monde », nous, l’enseignant, les élèves, tous les élèves. Créons ensemble la situation qui permettra de tordre le cou aux ignorances discriminantes. Éprouvons ensemble l’intérêt qu’il y a pour tous à mieux saisir par la connaissance ce qu’est notre humanité mondialisée, processus qui certes touche au savoir, mais qui nécessite d’abord un questionnement critique, une mise en cause de l’héritage. Or ce questionnement se trouve désormais porté par la communauté scolaire telle qu’elle est. Non pas encore exprimé dans les mots et dans les idées, mais vécu dans les relations, les sentiments, les faux-pas, les refoulements, les violences ou les amitiés. Ce questionnement produit une concitoyenneté qui embrasse le maître comme l’élève, tous les élèves. Il implique l’ensemble des protagonistes, mais laisse à chacun sa responsabilité propre. Le travail est commun, mais les tâches sont diverses selon qu’on est l’enseignant ou l’élève, qu’on est placé au centre ou à la périphérie dans l’organigramme impérial des identités. Il touche aux équilibres identitaires hérités et conduit à les déstabiliser, puis à en reconstruire de nouveaux qui ne soient pas discriminatoires. Bien posé, bien mené, ce questionnement fait des miracles.

Voilà des enjeux n’ont pas d’issue sans une éducation nouvelle.

[1] Le pays de Wagadou, parfois appelé Ghana, du titre que se donnaient ses souverains, est un vaste ensemble politique dont la capitale, Koumbi, se trouvait à la frontière entre la Mauritanie et le Mali actuels. Le Wagadou fut supplanté au XIIIe siècle par le Mali, fondé par Soundiata Keïta.

[2] A l’inverse, « Un piège sans fin », roman de l’écrivain béninois Olympe Bely Quenum, commence par la phrase : « C’était un Noir de taille moyenne ».

[3] Les collections du musée du quai Branly proviennent pour l’essentiel de deux institutions antérieures : le musée de l’Homme et l’ancien musée des colonies (puis de la France d’Outre-Mer, puis des Arts africains et océaniens, aujourd’hui cité de l’Immigration). Au musée des colonies, les objets présentés sont raccordés à l’histoire occidentale par leur lien à la découverte et à la conquête de terres inconnues des Blancs : poissons exotiques, casquette du père Bugeaud, statuettes dogon. Le second s’articule autour de la science inventée pour que les Blancs comprennent ce qui n’est pas eux : l’ethnologie. Curiosités exotiques où se mélangent les reliefs du palais des rois d’Abomey, le moulage de la « Vénus hottentote » et des harpons esquimaux. Ces deux points de vue ont cessé de paraître universels. Celui de l’art ne l’est pas davantage, mais ça ne se voit pas encore. C’est autour de lui que le nouveau musée a construit son concept.

[4] Le mot sacrement est à prendre au sens que lui donne la doctrine catholique : un signe contenant la réalité de ce qu’il signifie. Le pain consacré lors de la messe est le « signe efficient » du corps du Christ, signe parce qu’il n’est pas de la chair humaine, mais efficient parce qu’il est censé rendre effectivement présent ce qu’il symbolise. Ainsi, le masque du komo ou la statue du buffle sans tête qu’on vénère à Ségou sont les sacrements des puissances qu’ils représentent. Pour cette raison, ils sont le plus souvent cachés aux regards. On peut les voir dans les vitrines du nouveau musée parisien.

[5] J’emploie les dénominations de Noirs et de Blancs dans leur sens commun, universellement compris et qui sert à établir la distinction entre une personne qui n’a d’origine qu’en Europe (Blanc) et une autre qui a des origines proches ou lointaines, « pures » ou mélangées en Afrique sub-saharienne. Il peut arriver que certains « Noirs » aient la peau plus claire que certains « Blancs ». C’est que les « races » existent non pas comme fait biologique (il est prouvé que ce « concept » est sans pertinence pour caractériser des groupes humains), mais comme fruit de l’histoire de domination de l’Occident blanc sur le reste du monde. Dans un monde sans domination identitaire, les différences de physionomie sont renvoyées à de pures considérations descriptives, comme on dit de certains qu’ils ont les yeux bleus ou les cheveux frisés. Déjà, la dénomination de « Jaunes » pour les habitants de l’extrême orient commence à paraître incongrue. De la même façon, on ne parle pas de Nelson Mandela en disant l’homme politique noir Nelson Mandela. La déracialisation des regards est possible.

[6] Remarquons que cette expression dont l’usage est récemment apparu dans les medias est toujours employée pour signaler qu’il ne s’agit pas d’un jeune « comme les autres ». Si vous lisez : « La police a interpellé deux jeunes de nationalité française », c’est qu’ils ne sont pas blancs, sans quoi le journaliste aurait simplement écrit : « La police a interpellé deux jeunes ».

2 réflexions sur “DES IGNORANCES DISCRIMINANTES

    • Les penser, pour tout simplement les voir. Mettre en évidence qu’il s’agit d’une question politique, sociale et culturelle stratégique pour la construction d’une unité nationale post-coloniale. Favoriser et valoriser tout ce qui dissout ces « prêt-à-penser », notamment ce qui nait des liens humains – amours, amitiés, familles, voisinages, solidarité concrètes – créés par le simple mouvement de la vie, les cages d’escalier, les sorties d’école, les activités de quartier, etc.

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