ET SI JESUS N’AVAIT JAMAIS CONDAMNE LE DIVORCE ?

Texte écrit pour un ami catholique et divorcé qui souffre d’être retranché de la communion

La morale familiale ou sexuelle est quasiment absente des Evangiles. Lorsqu’elle apparait, c’est de façon très paradoxale. Quand Jésus croise une prostituée – Marie de Magdala – ou une femme adultère qu’on s’apprête à lapider, il les protège. Une question piège lui est posée sur la rupture du mariage telle qu’elle se pratique alors et sa réponse s’affranchit lumineusement de la coutume sous l’effet de sa compassion pour celles qui en sont victimes. La procédure que nous appelons divorce est impensable à l’époque. Il n’en dit donc rien. 

L'épisode évangélique de la

L’épisode évangélique de la « femme adultère », par Lorenzo Lotto

Voici ce que l’évangéliste Matthieu rapporte de la seule allusion de Jésus au mariage :

«  Des Pharisiens s’approchèrent de (Jésus) et lui dirent, pour le mettre à l’épreuve : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer ». « Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de répudiation quand on répudie ? » « C’est, leur dit-il, en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi. Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme – sauf pour « prostitution » (porneîa) – et en épouse une autre, commet un adultère ». Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle aussi devient adultère. » Mt 19, 1-9.

Ce que Jésus condamne ici sans détour n’est pas le divorce, mais la répudiation. Il parle aux hommes, aux mâles. Il leur parle de ce qu’est à l’époque le mariage. Vous avez acquis une épouse, souvent une fillette. Vous vous êtes engagés devant leur père et devant Dieu à assurer sa subsistance. En retour, votre femme accepte de vous obéir, de vous servir et de vous donner des enfants. Ce pacte est établi sous la forme d’un rite religieux qui prend Dieu à témoin (« devant Dieu »).Il vous oblige « devant Dieu ». Jésus joue habilement sur cette formulation, d’une habileté irriguée par la compassion, car si c’est « devant Dieu » qu’est conclu le mariage patriarcal où la femme est « mariée » par son homme, pour les pharisiens qui l’interrogent, c’est également « devant Dieu » qu’est réglementée la procédure de répudiation telle que l’institue la loi de Moïse, procédure par laquelle une femme « est divorcée » par son homme, et dont Jésus conteste la légitimité. Le texte évangélique décrit le répudiateur remarié comme un adultère. Il ne parle pas de la répudiée quand elle parvient à retrouver un « soutien de famille ». Ces situations sont encore fréquentes dans notre monde et là où elles se produisent, la répudiation est vécue, comme au temps de Jésus, comme un déshonneur par la femme répudiée. Qui reprendra une femme qui n’a pas su complaire à son homme et lui donner un foyer comme il faut ? Elle est, comme au temps de Jésus, une condamnation à la précarité : rentre chez ton père, femme inutile, et débrouille-toi !

Ici, Jésus parle aux hommes, aux mâles. Il leur dit qu’ils ne peuvent rompre le pacte qui fait de leur femme leur servante et d’eux-mêmes leur soutien, pacte scellé « devant Dieu ». Dans la logique de sa compassion pour les femmes répudiées, il reconnaît aux hommes, aux mâles, le droit à la répudiation quand leur épouse rend publique son infidélité (porneïa : adultère manifeste, prostitution). Et en effet, dans ce contexte-là, par le même mouvement de compassion qui le pousse à condamner la répudiation, Jésus reconnaît aux hommes, aux mâles, le droit de ne pas se ridiculiser, de ne pas s’isoler de leur monde et de se séparer de la femme engagée dans la porneïa. La porneïa des hommes, des mâles, il ne l’évoque pas ici, mais très clairement quand ceux-ci s’apprêtent à lapider la femme adultère. Il leur dit : « Que celui qui n’a jamais péché (péché de ce péché – ndla) lui jette la première pierre ». Eux, « quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés et jusqu’aux derniers ». Dans sa condamnation de la répudiation, Jésus va jusqu’à inclure un cas bizarre, exotique, qui fait référence à la façon dont les juifs pieux de son temps jugent l’univers impie des Grecs et des Romains, le cas d’une femme qui répudierait son homme. Et c’est encore la compassion qui donne le la, la compassion cette fois pour l’homme, le mâle, victime à son tour de la répudiation.

Il peut arriver que le divorce soit une répudiation. Répudiation de la femme par l’homme. Le plus souvent. Répudiation de l’homme par la femme. De plus en plus. Et Jésus juge que c’est aller contre la création qui a fait l’humain homme et femme. Il y a aussi des divorces d’une haute moralité. Une femme et un homme qui se respectent, qui comprennent que leur vie commune est parvenue au terme du bien qu’elle pouvait produire et qui choisissent ensemble de se séparer, de se séparer sans se haïr, de se séparer pour se donner à nouveau l’occasion de créer le monde, et dans le souci de libérer leurs enfants, quand ils en ont, de la tension provoquée par leur désamour. Ce travail là, ce travail spirituel, Jésus n’en parle pas, ne peut pas en parler, comme il ne dit rien sur le code de la route, la protection contre le sida, l’énergie nucléaire ou la conquête de l’espace, tout simplement parce que ce sont affaires de notre temps et non du sien.

Que peut-on lire, non du point de vue des croyances ou des règlements, mais du point de vue de la foi, dans les quelques rares affirmations de Jésus sur le mariage à la façon de son temps ? Que le caractère sexué de l’image de Dieu est chose sérieuse, que l’unité de Dieu a « dés l’origine » pris pour image l’unité de la chair dans le désir qui réunit les hommes et les femmes. Que rompre unilatéralement cette unité n’est pas juste. Que certaines situations, par exemple la porneïa, légitiment la rupture, parce qu’elles transforment l’union en mensonge. Qu’il n’est pas juste de briser son prochain. Sur le divorce à la façon de notre temps, rien, sauf le souffle de l’esprit qui dit : ne répudie pas, ne brise pas unilatéralement, par ta simple volonté, pour ton simple confort cette unité à travers laquelle Dieu se manifeste. Sur ceux qui n’ont pas répudié, mais se sont mutuellement reconnus séparés, se sont honorablement séparés, rien. Terrain vierge que les vieilles croyances dessèchent mais que la foi vivifie. Jésus suggère que répudier quelqu’un avec qui on s’est engagé n’est pas bon, qu’il faut travailler à l’éviter. Chrétien ou non, on peut communier à cette invitation. Couple d’homme et de femme, de femme et de femme, d’homme et d’homme, on peut communier à cette invitation. Ou non. Mais il n’est pas vain d’associer la rupture unilatérale au péché, ni à la vertu le travail sur soi qui l’évite, dans le mariage comme dans le divorce.

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